Burial - Tunes 2011-2019

Imaginez un instant : c’est la nuit, vous êtes dans un bus qui vous ramène tout doucement chez vous, ou bien vous marchez sous une pluie battante, tout en traversant la première banlieue qui vient. Tout n’est que crasse et fumée qui sort des égouts, les lumières de lampadaires clignotent de façon irrégulière et frénétique.

Ou bien admettons que vous avez échoué dans le fast-food le plus proche (un McDo de préférence), à prendre un burger qui a dû sûrement tiédir.

Cette sensation d’être sur un chemin qui évoque autant la mélancolie que l’angoisse.

C'est en tout cas ce que je ressens quand j'écoute du Burial.

Si les amateurs (voire même les puristes) du dubstep connaissent au moins son nom, c’est avant tout pour son pattern sonore si reconnaissable : un savant mélange de textures sonores penchant parfois vers le Field Recording, de rythmiques puisant dans le 2-step et de samples vocaux pitchés qu’on dirait tout droit sortis d’un film noir.

Et c’est pas peu dire d’un artiste présent depuis 2005 sur le label Hyperdub (référence du genre dans la scène dubstep et plus largement de la bass music) et qui a sorti une pelletée d’EP pour seulement deux albums. Le dernier en date ? Untrue, considéré pour beaucoup de connaisseurs et de passionné.e.s du genre comme un album culte, sorti en 2007.

Et c’est sur "l’après-Untrue" que nous allons nous pencher, avec cette compilation sortie en 2019 et sobrement intitulé… Tunes 2011-2019.

L’album contient 17 morceaux, séparés en deux parties sur la version physique (uniquement en 2xCD) et qui ont donc tous en commun d’être sortis durant cette dernière décennie, entre 2011 à 2019, sur le label Hyperdub. Le fait d’avoir une compilation en deux parties se justifie par la longueur des compositions de Burial : on a en tout six morceaux dépassant les 10 minutes d’écoute et à peine trois autres sous les six minutes. Autant dire qu’il faudra avoir l’oreille avertie pour apprécier toute la durée de ses œuvres.

Il serait judicieux, aussi, de dire que cette compilation permet à l’auditeur/trice averti(e) de découvrir la large palette sonore du compositeur anglais qui aura su sortir d’un genre musical ayant connu un gros changement au début des années 2010.

Une petite remise en contexte s’impose : à cette période, le dubstep devient en quelque sorte la nouvelle figure mainstream de la scène électronique, popularisée entre autres par la radio Rinse qui gère également une partie label. Dans leur roster, on retrouve le supergroupe Magnetic Man composé de trois références de la scène : Skream, Benga et Artwork. Je me souviens avoir acheté l’album à sa sortie. Il n’était certainement pas celui que je considère comme un des meilleurs dans ma collection mais il reste néanmoins solide par moments, bien que le son témoigne d’une époque qui semble déjà lointaine — alors qu’on était en 2010…

Le dubstep connaîtra une mutation pop (Katy B) et passera même par la moulinette EDM : bourrée aux amphétamines, taillée pour les mainstages de festivals (essentiellement aux USA) : le brostep est né. Popularisée par des figures telles que Rusko et Caspa (deux figures de la scène UK Dubstep), Skrillex et son label OWSLA, Kill The Noise ou encore Seven Lions (qui mêle "woob-woobs" tranchants avec des mélodies epic trance), il deviendra, aux yeux de beaucoup de personnes ayant versé dans la partie mainstream de la musique électronique, le son dubstep par défaut. Quelques figures de la scène UK Dubstep céderont aussi à cette mutation sonore : Skream ou Benga n’hésiteront pas à ajouter un peu plus de "WOOB WOOB" dans leur musique à cette époque.
D’autres figures de cette scène musicale préfèreront évoluer vers un son taillé pour les warehouses (house, techno, UK Garage) ou puiser dans les influences pop afin de créer une nouvelle mutation sonore. C'est ainsi qu'on parlera de post-dubstep ou de Future Garage avec des artistes comme Scuba, SBTRKT, Pariah, Jamie XX, Joy Orbinson… ou Burial, pour ne citer qu’eux.

De tous les EP qui se succèderont durant la décennie, Burial gardera toujours son blueprint sonore si reconnaissable. Il aura eu le mérite de le faire évoluer hors du dubstep et explorer d’autres sous-genres de la culture électronique britannique, laissant parfois quelques fins connaisseurs sur leur faim ou dans l’incompréhension.

Ainsi, on aura toujours la possibilité d’écouter, les yeux fermés de préférence, ses longues plages ambient avec des boucles sonores laissant aussi bien croire à une bande-son d’un film imaginaire où on se met dans la peau d’un type qui marche, sans direction précise, dans la ville (Nightmarket) qu’à une ambiance menaçante, sournoise, dans la pénombre et l’angoisse. Citons State Forest, Subtemple ou encore Beachfires, le dernier cité étant ponctué par ces montées qui prennent autant les tripes que des cris perdus dans la nuit.

Si on est plus d’humeur à taper du pied et à profiter d’un bon sound-system dans un warehouse, il y a aussi du choix entre la techno/house en 4/4 de Loner ou les incursions, plus récentes, dans les sonorités rave comme le UK hardcore, le jungle ou le garage house avec Claustro ou Rival Dealer. On pourra même noter une courte incursion synthwave avec Hiders.

Reste donc les morceaux dubstep/bass music avec leurs compositions à tiroir, marquées par des interludes ou des fins de morceaux qui puisent dans le côté intimiste de la ville. On jurerait, par exemple, entendre un snippet de morceau R’n’B aussi bien sirupeux dans Come Down to Us. Ou une mélodie transcendante — voir Young Death ou Ashtray Wasp.
Il peut y avoir également ce sentiment soudain d’être à un lendemain de rave en pleine campagne (ou en pleine ville, tant qu’à y rester) et où le lever du soleil, à peine entamé, vient caresser tendrement notre visage. C’est en tout le cas le ressenti que j’ai eu en écoutant Truant.
Et quitte à boucler la boucle, continuons à marcher dans la nuit pluvieuse, à entendre des fantômes émettre des échos pitchés (Stolen Dog, NYC) et où la sensation de danger se fait de plus en plus pressante… quand ça n’est pas la tempête qui fait des siennes, quitte à ce qu'elle nous happe (Street Halo).

Au final, chacun des 17 morceaux raconte une histoire : celle de la ville, qui brasse les rêves perdus et les craintes intimes des gens. Un lieu en perpétuel changement (architectural ou démographique) et qui abrite les fantômes d'un passé peut-être pas si lointain que ça. Un lieu source de nostalgie d’une génération nourrie au son du Second Summer of Love et des raves britanniques des années 1990, auxquelles se rajoutent les amateurs de sons plus urbains, du R'n'B au 2-step, du garage house au dubstep.

Même si le succès critique est toujours au rendez-vous, la personnalité de Burial reste secrète sur bon nombre de points… sauf son nom (William Bevan) et son visage, qui avaient fait l’objet d’une traque acharnée de tabloids comme The Sun suite à sa nomination au Mercury Prize en 2008 pour Untrue. Pour le reste, sa musique reste le meilleur moyen de faire plus ample connaissance avec lui, de sa vision de la ville et de ses inspirations. Cette compilation en est un bon exemple.

ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
FraîcheurIndice de l'apport de neuf que fait cet album. 1/5 : l'album réutilise les codes du genre et fait une bonne soupe avec de vieux pots. 5/5 : l'album invente et innove son style musical
MélancolieL'album inspire plus ou moins la mélancolie, les sentiments maussades et embaumés d'un vague à l’âme. 1/5 : Vous ressentez une légère pique de tristesse. 5/5 : Vous êtes plongé dans les tréfonds du spleen
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
Consigne du maître nageur :
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