Carpenter Brut - Leather Terror

Continuité de qualité

Comment dépasser un sommet pour aller en gravir un plus élevé ? Comment ne pas décevoir lorsqu'on est en haut ? Des artistes ont parfois dû se poser la question en ayant atteint un succès critique et / ou commercial, se demandant comment enchaîner en ne laissant pas tomber à plat les espoirs et la hype pour la suite de leur carrière. Franck Hueso s'est-il posé ces questions ? Rien n'est moins sûr quand on sait comment il reste discret et semble désintéressé de répondre aux attentes du public (on se rappellera que jusqu'en 2020 il refusait de sortir la version studio de sa reprise de Maniac juste pour ne pas satisfaire les fans).

Pourtant, en tant que figure de référence dans son genre de prédilection avec Perturbator, les attentes du public étaient bien présentes. Fer de lance de la Dark Synth et figure éminente de la synthwave, Carpenter Brut s'était directement imposé sur la scène avec ses EP I, II et III regroupés sous l'excellent Trilogy, avant de confirmer son talent en 2018 avec son second album. Le musicien a donc immédiatement lancé un train de la hype en annonçant Leather Terror, suite directe de Leather Teeth. Si l'on excepte la belle mais modérée bande originale de Blood Machines datant de 2020, le dernier album du Poitevin datait d'il y a 4 ans, une longue attente en comptant les confinements qui avaient ralenti le temps.

Le compositeur avait-il évolué ? Ou avait-il au contraire continué dans la même direction qu'auparavant ? Dans les deux cas, le résultat était-il à la hauteur des attentes ? À quel point Leather Terror poursuivrait-il l'histoire commencée par Leather Teeth ? Si les deux singles Imaginary Fire et The Widow Maker semblaient prometteurs, il allait falloir attendre le 1er Avril pour avoir la réponse complète.

leather terror back Dos de la pochette de l'album

À la découverte du disque, la pochette répond à la question : on peut faire un collage parfait entre les deux albums, Leather Terror portant à la perfection sur ses épaules la tête de Leather Teeth. Il faut encore une fois remercier le duo de Fortifem pour ce bel artwork. Le ton de l'album s'y devine instinctivement : la musique va être bien plus brutale, impression trahie par une pochette très sombre où la seule lumière vient du couteau ensanglanté.

Ensuite, les titres eux aussi reprennent les thèmes du prédécesseur : Opening Title fait suite au End Titles de Leather Teeth, on peut également voir un lien entre Hairspray Hurricane et Lipstick Masquerade, tandis que le rapprochement entre les morceaux éponymes est évident. Les paroles sont quant à elles moins explicites, à l’exception de Leather Terror.

Et pour ce qui est de la musique ? Carpenter Brut, unique compositeur, envoie encore du lourd, dans une ambiance laissant toujours aussi peu de place à la lumière. Les deux morceaux d’ouverture, qui pourraient n’en être qu’un, montrent immédiatement qu’on a replongé dans la virée violente de notre protagoniste meurtrier. Opening Title fait monter la tension avant que l’artiste ne se révèle plus metal que jamais avec Straight Outta Hell. La double pédale frappe fort et sans s’arrêter tandis que le mur de synthés distordus est encore plus imposant qu’auparavant. Les chœurs, bien que plus discrets, posent une atmosphère anxiogène et sinistre : le Brut et sa bête sont de retour.

La sensation d’être dans une boîte de nuit endiablée, où le public est possédé est toujours là, mais le musicien a poussé les potards à 11. Aucune exagération n'est faite quand à l'utilisation de l'expression "mur de synthés" : la production et le mixage nous balancent un son lourd, extrêmement dense, où les basses ont la part belle sur le spectre sonore. Il n’y a qu’à écouter le riff principal d’Imaginary Fire (où on peut saluer et louer la performance de Greg Pusciato, ex-chanteur de The Dillinger Escape Plan), véritable parpaing auditif qui ne prend aucune retenue pour s’incruster dans notre tronche.

Heureusement pour notre tension, Carpenter Brut sait diversifier les ambiances, en témoignent ...Good Night, Goodbye (avec Ulver et le retour de Kristoffer Rygg) ou Stabat Mater (avec Sylvaine), morceaux bien moins lourds pour nos oreilles. L'aspect lugubre ne s'en va pas pour autant, le premier titre faisant plusieurs fois référence aux films noirs et le second étant le nom d'une hymne évoquant la souffrance de la Vierge Marie lors de la crucifixion du Christ, son fils.

On peut aussi noter le dansant Lipstick Masquerade, servi à la perfection par Persha pour nous embarquer avec elle sur un dancefloor enflammé. Placé au milieu de Leather Terror, il inonde de lumière l'album - temporairement - avec son énergie inarrêtable. Le morceau est également le seul rappelant vraiment les eighties, théâtre d'opération du premier album

Mais Brut étant Brut, l'envie de nous proposer des titres écrasants et surpuissants n'a pu être contenue. Color Me Blood, Paradisi Gloria ou Leather Terror sont là pour tout casser, on l'espère en concert où les titres risquent d'être destructeurs. Le premier joue avec nos angoisses grâce à ses bruitages stressants. Le morceau éponyme est la chanson la plus brutale du disque, la faute à la présence de Johannes Jonka Andersson, chanteur de Tribulation, introduisant le growl avec brio dans la discographie de l'artiste. Pour rajouter de la lourdeur, la batterie de Ben Koller de Converge se déchaîne sur l'explosif final.

Et c'est sans parler de la magnifique doublette au milieu de l'album : Day Stalker et Night Prowler, que l'on peut rapprocher du doublon Sunday Lunch / Monday Hunt de Leather Teeth, est à mon sens la pièce centrale de Leather Terror.

La première partie est une lente progression où le musicien fait monter la tension, les couches s'ajoutant les unes sur les autres. Les synthés prennent de plus en plus d'ampleur notamment sur le thème principal, jusqu'à ce que les basses débarquent dans le dernier tiers, nous attrapant et nous emmenant sans qu'on puisse résister vers l'enchaînement de la seconde partie. Plus horrifique avec ses claviers dissonants et son atmosphère effrayante, on s'y fait brasser sans ménagement. On est happés dans cette échappée du rôdeur nocturne, jusqu'à ce que le thème revienne nous achever. Un voyage à ne pas rater, assurément

Le rythme de l’album a très bien été pensé : Carpenter Brut a judicieusement placé les titres les moins violents à la suite des moments les plus intenses. Nous ne sommes donc jamais usés par les assauts des synthés, tout en étant dans l’expectative à chaque instant calme, se demandant ce que le musicien nous a concocté derrière.

Alors y a-t-il des points faibles à Leather Terror ? La durée de 45 minutes n’est ni trop courte ni trop longue, justement grâce à l’arrangement de la tracklist. Le mixage n’est pas non plus à déplorer, tout comme la liste d’invités s’inscrivant parfaitement dans la démarche et l’univers du disque.

On pourrait peut-être regretter un manque d’exploration, de nouveauté. Après tout, en dehors de l’aspect metal désormais pleinement assumé (notamment grâce à la batterie), on reste dans de la darksynth classique. Mais il faudrait être un peu malhonnête pour s’en plaindre tant la formule a été perfectionnée pour une efficacité optimale.

Ainsi, Leather Terror se trouve être un album plus que recommandable si vous appréciez le reste de la discographie du compositeur Poitevin. Au cas où vous découvriez l’artiste, sa dernière création est une formidable porte d’entrée vers la synthwave et en particulier son versant sombre de la darksynth. Si vous n’aimiez déjà pas le Brut, je suis au regret de vous dire que ce ne sera pas l’album qui vous réconciliera avec sa musique. Franck Hueso a choisi de prendre la lignée directe de Leather Teeth et de rendre la formule encore plus sombre et plus accrocheuse, certaines paroles ou riffs restant très aisément en tête. Les mélodies de synthés vous emmènent dans la fosse pour que vous vous fassiez remuer comme jamais, avant que vous vous époumoniez en scandant les paroles des morceaux avec le reste du public.

La recette est là, elle fonctionne. Par conséquent, il n’y a pas de prise de risque sur cet album, mais on ne s’en plaint pas chez Soundbather. On est trop occupé à danser sur Lipstick Masquerade.

ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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Leather Terror
Carpenter Brut
"Leather Terror"