CDV #01 - Magma - Gojira

Carnet de voyage

Bienvenue dans ce premier carnet de voyage.

Comme le navigateur, le mélomane se cherche toujours de nouvelles destinations. Il tient le registre de ses meilleures expériences, il garde profondément enfoui dans sa mémoire le souvenir de ses plus beaux lieux d’égarement comme de ses plus crasseuses traversées.

Il met la liste à jour, la conservant précieusement en lui et chaque nouveau carnet est comme un mini-sanctuaire dédié à la mémoire de ces œuvres qui ont marqué son voyage.

Puisque la musique se partage, comme l’océan, je vous propose de vous reparler à travers ces carnets des albums ou des morceaux qui par malheur, par bonheur ou par hasard ont croisé ma route.

De nouveaux horizons...

Nous sommes aux balbutiements de l’année 2016. Gojira vole depuis quelques années à une altitude de succès que peu atteindront. Je les écoute depuis déjà assez longtemps dans mon coin. Pas un seul morceau ne me laisse indifférent, ou ne me déçoit. Je suis une véritable éponge. J’absorbe ces ambiances tribales, ce son guerrier inébranlable. Les inspirations cosmiques et la teinte de désespoir qui englobent la furie sonore de ce groupe s’alignent parfaitement avec ce que je vis. Ils donnent une voix bruyante et puissante à ce qui m’a toujours animé. Enfant n’ayant connu que la verdure, la montagne et l’air étouffant qui précède les orages d’été, la musique est une source de laquelle je cherche à refaire jaillir le souvenir de ces sensations primaires. La musique de Gojira et sa puissance majestueuse s’inscrit vite en moi. Elle incarne la puissance de ce qui vit, elle explose comme la plus brillante des supernovas. Elle gronde comme la nature. Elle existe toujours en rapport avec cette dernière, qui fait autant partie de mon esprit que de mes souvenirs les plus chers.

Je suis impatient. Pour la première fois j’ai l’occasion de découvrir une de leurs galettes lorsqu’elle est à peine sortie du four. Elle me promet beaucoup de choses. Le groupe agite quelques morceaux et quelques riffs avant sa sortie. Je me rends compte que j’ai les frissons. Seul dans une maison familiale au beau milieu de nulle part, les arbres dehors encore baignés dans la brume de la matinée, je décide d’écouter l’album. J’ai 18 ans. C’est une année qui va clore un chapitre entier de ma vie. Épuisé par les années du lycée, la lumière de l’enfance me quitte un peu plus chaque jour. J’aspire à renaître, mais pour cela il faut d’abord mourir. Pas littéralement, bien sûr, mais cet album dont la thématique tourne autour du dépassement et du deuil ne pouvait pas mieux tomber. Son ambiance sourde et contenue allait sans aucun doute contraster avec ce que j’avais connu d’eux alors. Pas plus mal, me disais-je. Une fois les pistes déposées sur mon baladeur, il n’y avait plus qu’à sortir.

Grondements dans le vide

Magma est né pour incarner l’effet de la mort de leur mère sur les frères Duplantier. Principaux membres du groupe, ce sont eux qui ont composé chaque piste de l’album, enfermés à New York dans leur studio flambant neuf : le Silver Cord Studio. L’événement s'est produit lors d’une de leur tournée. Alors qu’ils étaient sur leur lancée, écrivant pour la suite de L’Enfant Sauvage, ils ont tout jeté à la poubelle et sont repartis d’une feuille blanche. Les idées ont donc vu le jour dans une atmosphère intense située entre un deuil récent et le devoir de jouer leur musique pour un public grandissant. Cela s’entend dès la première piste. Les premières notes de The Shooting Star sonnent sèchement. Le volume a diminué, une ambiance lourde s’installe. Comme la brume, il plane dans les compositions du groupe une aura qui mélange le céleste et le sombre.

Joe ne hurle pas. Il chantonne, parle presque. Il utilise une voix douce, une des nouveautés qui marchera le mieux de toute l’œuvre. Son chant est plus plaintif dans ses cris tout en montrant un spectre superbe d’émotions dans le clair. L’ensemble de la formation va suivre la voix : rythmes plus lents et cérémonieux pour Mario, jouant moins du blast beat, lignes de basse plus planantes de la part de Jean-Michel. Quant-à l’inébranlable Christian Andreu son jeu solennel trouve son écrin parfait sur cette œuvre.

Silvera, Pray, The Cell montrent que Gojira ne perdent pas pour autant le sens de l’orientation. Leurs racines sont toujours fermement plantées dans un jeu puissant et lourd. Néanmoins, ce sont Stranded, The Shooting Star, Magma et surtout les deux dernières pistes Low Lands et Liberation qui forgent l’identité de l’œuvre.

Mon opinion sur Stranded était mitigée à sa sortie, je trouvais le morceau faiblard. Habitué des précédentes sorties, je ne m’étais pas fait à ce nouveau visage, très sec et épuré. Aujourd’hui je n’y reviens que très peu, cependant la piste a de très grandes forces. Son pont aux harmonies vocales est un des plus beaux passages que Gojira a jamais produit. J'ai vécu un déclic immédiat sur d'autres morceaux en revanche. L’inspiration légèrement à la Tool déployée sur le morceau Magma fit mouche, étant aussi à cette époque en émoi lors de l’écoute des Américains. Les frappes dignes du tonnerre sur Pray me donnent aujourd’hui encore un frisson que seul le bruit sourd d’un orage d’été peut reproduire. Et puis il y a Low Lands.

J’avais commencé l’album à l’intérieur de ma maison. J’ai fini par sortir. J’ai commencé par marcher. J’ai terminé en courant, les yeux fermés. J’avais adopté l’œuvre comme un exutoire. Il n’y avait qu'elle, moi et les arbres dans la brume de ce matin-là. Je pensais à la mort, et Gojira savait m’en parler. Il y a un mouvement sain dans cette œuvre. En gravant sur ces morceaux leur tourment face à la disparition prématurée de leur génitrice, ils ont aussi transmis leur vie, leur soif de voir ce monde grandir, voire renaître.

46093496_2204289102928143_4959204818917785600_n.jpg Quatre garçons dans les bois. De gauche à droite : Jean-Michel Labadie, Christian Andreu (style Grotendieck), Joe puis Mario Duplantier. Source : facebook du groupe, photo de Gabrielle Duplantier

Un souffle qui ne s’est pas épuisé

Au départ, j'ai apprécié l'album. Cependant je n’étais pas conscient qu’il grandirait avec moi. La composition est toujours très solide. Elle renferme ce que j’aime le plus : une simplicité qui laisse beaucoup de place à la beauté. Il ne fait ni remplissage ni faux-pas. L’outro avec Liberation est ce que je voulais : un générique de fin. Les deux frères sont seuls, comme dans une de leurs chambres d’enfant, dans leur maison familiale. L’ambiance est tranquille. Une façon de dire que “voilà, c’est fini” la page est tournée. Tout comme pour moi, en 2016, lorsque je suis parti de ma maison, que j’ai couru vers un nouvel horizon, sans jamais oublier cette brume. Elle plane sur nos vies, toujours. Son souffle est capturé dans ce moment magnifique de musique envoûtante, prenante et galvanisante. Il suffit de s’y engouffrer pour se sentir à nouveau un peu plus vivant.

Merci à Dreytalquor pour son aide dans la préparation de l'article.

DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
MélancolieL'album inspire plus ou moins la mélancolie, les sentiments maussades et embaumés d'un vague à l’âme. 1/5 : Vous ressentez une légère pique de tristesse. 5/5 : Vous êtes plongé dans les tréfonds du spleen
ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
Magma.jpg
Gojira
"Magma"