CDV #04 - Devin Townsend Project - Sky Blue

Carnet de voyage

Comme le navigateur, le mélomane cherche toujours de nouvelles destinations. Il tient le registre de ses expériences, le souvenir de ses plus beaux lieux d’égarement profondément enfoui dans sa mémoire.

Il maintient la liste à jour, la conservant précieusement en lui.

Ainsi chaque nouveau carnet est comme un mini-sanctuaire dédié à la mémoire de ces œuvres qui ont marqué son voyage.

Puisque la musique se partage, comme l’océan, je me propose pour reparler à travers ces carnets d'œuvres qui par malheur, par bonheur ou par hasard ont croisé ma route.


SKYBLUE_ED7 Éclipse au milieu de l'inconnu - Elite: Dangerous

"3, 2, 1, 0"

Un flash m'inonde de lumière. Ma vision s'éclaircit de nouveau puis l'air est déchiré par un son assourdissant. J'admire un vaisseau qui part. À son bord une vie, un rêve, un avenir scellé et l'idée d'un ailleurs. Les flammes qui le propulsent ne me brûlent plus le visage, il ne reste que le vent qui hurle leur souvenir. Je peux encore en sentir la chaleur sur mes joues, alors qu'un point lumineux s'éloigne dans les hauteurs de l'atmosphère. Il disparaît peu à peu pour peut-être ne jamais revenir. La lointaine traînée de vapeur qu'il laisse est dispersée par le vent. Le silence redevient maître.

Je persiste les yeux vers le ciel, plongé dans le souvenir de mes premières explorations.

SKYBLUE_ED5 Anneaux éclairés par une géante bleue - Elite: Dangerous

Dualité

Du souvenir il va être question aujourd'hui, mais pas que. Parfois les mots sont comme des dés, pouvant dévoiler différentes facettes. Ils peuvent souligner la fougueuse ambition tout comme une sereine retraite. En surface les choses peuvent paraître lumineuses. Seulement j'ai une affection particulière pour la dualité. Elle a permis à l'œuvre dont je vais vous parler aujourd'hui de m'accompagner durant plus d'un voyage. Cette œuvre, c'est le sixième album du Devin Townsend Project sorti en 2015.

Immersion musicale stellaire

Musique et astronomie sont, depuis des centaines d'années, deux disciplines intimement liées. Leur capacité à inspirer l'imaginaire n'y est certainement pas pour rien. Il y a même une affinité au-delà du vocabulaire. La musique est une vibration faite d'harmoniques, de fréquences propres, de mouvements et séquences. Elle peuple le vide et le rend moins hostile, voire le rend beau. Les astres, eux, courbent l'espace. Ils brillent, émettant des ondes qui remplissent elles aussi l'infini. Pendules éternels, leurs mouvements réguliers ont été un pilier pour les civilisations, sources de fascination intarissables.

Si je sais que je peux écrire ces mots, c'est parce que j'ai pu également les lire dans de multiples ouvrages. Les cieux nocturnes ont joué très longtemps le rôle d'inspiration. À l'adolescence, j'étais dans la perspective de devenir astronome un jour moi aussi. Un métier qui marie les beautés scientifiques à celles de ma passion pour la musique. L'objectif semblait tout trouvé.

C'est aussi pendant cette période aux alentours de 2014 que j'ai découvert la discographie de Devin Townsend. Sky Blue est vite devenu un de mes albums favoris. Trouver la bande son pour des images qui stimulent l'imagination est toujours un fantasme. Ainsi, même à notre époque, de nombreux artistes utilisent l'imagerie spatiale à leur bénéfice. Ils ont raison, les étoiles exercent une fascination universelle. Certains arrivent même à la faire émerger dans leurs chansons aussi bien qu'à travers une imagerie marquée. Sky Blue peut rentrer dans cette dernière catégorie. Seulement, une carte hors de son contrôle a, dans mon cas, joué énormément en sa faveur.

SKYBLUE_ED2 Plein de carburant autour d'une étoile en système binaire - Elite: Dangerous

Elite explorer

En 2014, un jeu vidéo est rendu disponible. Il s'appelle Elite: Dangerous. Il s'agit d'un projet de jeu ouvert où un pilote interstellaire se voit offrir l'espace à visiter, conquérir, comprendre et explorer. Intégralement en ligne, sa galaxie générée procéduralement avec 400 milliards de systèmes stellaires ainsi que des graphismes soignés lui ont vite ouvert les voies de mon cœur. J'avais suivi le projet de loin, impatient de mettre enfin mes mains sur le manche virtuel et de décoller vers des espaces infinis.

Le jour de sa sortie, une fois la carte bleu de mes parents refroidie, j'étais complètement soufflé. L'immersion était telle que j'ai vite perçu que ce jeu occuperait une place particulière dans mon monde. Il allait devenir un espace parallèle, jardin secret isolé du reste.

Vadrouille solitaire

Les nuits commencèrent à s'enchaîner. Une fois seul dans ma chambre après les cours, un rituel était désormais bien installé. Amarré sur station orbitale proche d'une planète océan, mon poste de pilotage n'attendait que moi. Les ordres de missions étaient souvent improvisés vers les système d'Orion en passant par Betelgeuse ou bien les Pléiades. Parfois même, je m'aventurais des semaines dans la direction du centre galactique pour découvrir de nouveaux systèmes. Le tout pour qu'à mon retour, je puisse voir mon nom enregistré à jamais dans l'histoire du jeu comme les ayant découvert.

Les mécaniques étaient simples, souvent répétitives, mais qu'importe. Ces dernières n'étaient pas ce qui me procurait la plus grande joie. C'était la musique que je mettais à volume non négligeable dans mon casque couplée à la sensation d'immersion vertigineuse qu'offraient ces excursions solitaires. C'était la que Sky Blue jouait sa carte maîtresse. Il était parfait.

Devin possède une maîtrise de sa voix proprement excellente qui transparaît dans cet album. Il ne se pousse pas dans des retranchements excessifs mais cela rend ses hurlements d'autant plus marquant, comme sur A New Reign. Assurant également une performance vocale de premier choix, nous avons la divine Anneke Van Giersbergen. Elle a quelque chose de stellaire sur cet album, probablement parce qu'elle apporte une touche de féerie grâce à sa voix assez particulière. Elle intervient souvent dans le cadre de chœurs où sa voix est multipliée, parfois donnant une âme très appréciable au mur de son habituel de Devin.

Tous deux posent la voix sur des pistes très accessibles, produites avec peu de retenue. Elles ont une teneur metal aux influences rock FM. Ce n'est pas surprenant compte-tenu de la parenté très forte entre Sky Blue et Epicloud (album de Dev très orienté FM). Les transitions sont souvent faites à l'aide de synthétiseurs, qui prennent une bien plus grande place que sur Epicloud. Ils donnent à cet album ce petit côté science-fiction qui lui sied. Des touches plus modernes comme des influences drum'n'bass peuvent également être perçues, comme sur le morceau Sky Blue faisant beaucoup penser à du Pendulum.

Les guitares jouent bien sûr un rôle principal. Les riffs restent en tête souvent après une seule écoute. Par endroits elles font des petits arpèges un peu loufoques ajoutant à cette saveur digne d'un feuilleton sci-fi des années 70 au milieu d'une atmosphère épique. Globalement, l'album reste proche de ce qui a été fait sur Epicloud avec quelques touches lui permettant de se démarquer.

Mes nuits passaient donc, m'entraînant à la rotation rapide pour faire le plein d'hydrogène autour d'une étoile supergéante, sur le refrain de Silent Militia. Étoile après étoile, les sauts hyperdrive faisaient apparaître de nouveaux systèmes planétaires. Tous étaient des excuses pour mettre en scène planètes telluriques, géantes gazeuses ou naines rousses sur les éclats musicaux de Sky Blue.

C'était du bon temps. Seulement il était compté, je le savais. C'est aussi ça qui faisait toute la saveur de cette œuvre durant ces nuits de voyage.

SKYBLUE_ED6 Transit vers la nuit d'une planète océan sur fond galactique - Elite: Dangerous

Voyage à durée limitée.

Cette musique se recueille. Son propos est mélancolique. Les pistes évoquent décès, tiraillements émotionnels, solitude. La signature de ces penchants moroses est Rain City, faisant explicitement référence à Ocean Machine qui traite lui aussi de certains de ces sujets. Sur chaque morceau, il y a une sorte de bémol global, même dans les refrains les plus puissants comme Universal Flame ou Warrior. Cet album en surface épique possède un sous-texte plus nuancé.

La vérité, c'est que la même chose se passait avec Elite. Ces nuits de rêve reflétaient une profonde solitude, de laquelle je pouvais m'évader un peu. Elles portaient l'espoir de jours meilleurs. Mes rêves d'astronomie ne pouvaient se concrétiser qu'à l'université, loin de ma petite chambre, loin de ma petite galaxie. Mes escapades étaient vouées à être éphémères. Mon vrai vaisseau allait être une simple voiture, m'emmenant vers une nouvelle ville et donc une nouvelle vie. Mon CD de Sky Blue passait alors sur le système radio, le voyage continuant.

Rêves évanouis

Il en sortit quelque chose de bon. Cependant, le temps fit son œuvre. La destination au départ claire devint de plus en plus floue. Mon voyage toucha réellement à sa fin le jour où je compris, lors d'un stage en astrophysique, que je faisait fausse route. Ce jour-là, mon vaisseau se posa. Il fallait lui trouver une nouvelle mission, mon rêve ayant disparu. Heureusement sur le chemin parcouru, de nombreuses choses m'ont permis de persévérer. Aujourd'hui, j'ai mis le cap sur d'autres horizons et je conserve avec moi le souvenir ému des voyages passés.

Sky Blue est devenu mon vaisseau vers une époque tendre et morose, par le pouvoir du souvenir. Jamais je n'éprouverais l'intense bonheur de découvrir sa musique en même temps qu'Elite à nouveau (quelle tristesse !) mais ce sentiment gravé à jamais dans ma mémoire m'a servi pour vous parler de cette œuvre. Il me fait penser qu'il n'y a pas de malheur à accepter que certains voyages ne vous mènent pas aux destinations que vous attendez. La vie est une exploration (presque) libre. L'appréciation de ces déambulations est importante à cultiver, car le temps qu'elles prennent n'est jamais perdu. Et si en plus on peut le faire avec de la musique qui déchire, aucune raison de se priver.

SKYBLUE_ED1 Système triple d'étoile de la séquence principale - Elite: Dangerous

"We have lift-off!"

Ainsi, après un instant d'égarement, je me retournais, sourire aux lèvres. Les craquements d'un saut hyperespace résonnent dans l'air lointain. Serein dans ma retraite, j'allais me consacrer à de nouveaux chemins.

ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
SkyBlue_cover