Ghost In The Loop - Le Chant De La Glace

Inspiration glaciale, souffle spectral

Les intentions et les moyens sont souvent des aspects du processus créatif qui sont cités chez les artistes afin de promouvoir leurs derniers travaux en date. Le budget, la technologie, les inspirations ou encore le prestige et la renommée des studios sollicités sont tant d'éléments allant servir à créer une aura qui épousera l’objet musical. Oubliez les studios d'Abbey Road, l’album dont il est question peut se targuer de profiter d’un terrain de jeu encore plus puissant et évocateur à nos yeux.

C’est au cœur même d’un glacier suisse qu’Aurélien Buiron, alias Ghost in The Loop, décida de partir en expédition afin d’enregistrer deux morceaux ambient en une prise. L'Isérois profita également d'être sur place pour collecter des sons de l’environnement afin de composer le reste d’un album, une fois la chaleur du foyer retrouvée. Un projet musical de terrain très certainement inspiré par son homologue français Molecule, et que Soundbather ne put s'empêcher d’aller documenter dans ce carnet de voyage.

Si l’expédition fut un succès, un doute pouvait néanmoins subsister. Réussir à improviser et performer des morceaux est une chose, mais la création d'un album est une démarche bien plus exigeante. Les singles du disque étant ceux enregistrés sur place, le mystère planait sur l'émulsion sonore que Ghost In The Loop cuisinait dans son studio.
L'Imaginaire Des Glaciers et Le Chant de la Glace sont en plus deux propositions artistiques très distinctes : si la première est un morceau très abstrait, reposant fortement sur les sons d’ambiances du site, la seconde est une pièce d’electronica plus riche en mélodies et en structures. Une différence qui pourrait faire douter quant à la possibilité d’un ensemble cohérent.

Est ce que Le Chant De La Glace allait réussir à construire un propos, une narration, passée la singularité de sa genèse ?

La dualité des deux singles se retrouve tout au long du disque : sa première demi-heure va doser l’alliage des abstractions à celui des morceaux plus cadrés.
Murmures et Lamentations et Sastrugi sont deux titres jouant sur cette ambivalence, ne cessant de brouiller le ressenti de structure qui s’élève parfois lors de leur développement. Si l’un bouillonne d’une ambiance sourde et mélancolique, le second sera bien plus apaisant.

D'autres morceaux tranchent et investissent une des deux chapelles de ce monde de glace. L’Imaginaire Des Glaciers, pinacle ambient du disque, semble faire chanter l’esprit de ces mastodontes de glace dans le fond de son mix, alors que les sons d’eau captés dans le glacier de Zinal donnent une sensation de flottaison apaisante, bien qu’étrange.
Erosions/Concrétions est une pièce épique et exaltante, conjurant rythmiques hypnotiques et complexes, avec des enchaînements et superpositions de mélodies et de textures à n’en plus finir. Un moment vertigineux affirmant plus que jamais la force de compositeur de Ghost In The Loop.

Si l’album arrive à maintenir une cohérence dans ses dynamiques, il a aussi su agencer ses morceaux afin de se donner une image globale : celle d’un voyage.
Sur les cinq premières pistes, nous naviguons au cœur du glacier de Zinal, suivant le ruissellement de ses eaux dans ses galeries et ses grottes. Cette imagerie est suggérée par le mix, qui arrive à faire foisonner tous les détails sonores avec un grand sentiment d’espace, en résulte ces sensations aquatiques et visions caverneuses. Dans la capsule de Ghost In The Loop, nous flottons à l'intérieur des veines du glacier, dans ses peines et ses émerveillements.

photo _8b R Sous la glace, tout le monde peut vous entendre chanter (avec un bon micro) - ©Fabrice Buffart

Le morceau concluant le disque et notre voyage sensoriel est celui nous donnant tout le sel de la narration de l’œuvre. Après cinq bulles dans les profondeurs et la glace, Ici Commence L’Océan est un morceau qui va nous en extirper afin de clôturer notre voyage. Nous sommes bien à la surface, l’absence de drones et de sons dans le registre bas nous apporte un effet de relâchement après 34 minutes dans le brassage des entrailles terrestres. Et dans l’alliage lumineux de sons, presque printaniers, s’élève un son sourd, puissant et bienveillant. Comme si le glacier de Zinal chantait une dernière fois, nous saluant après notre passage.

Nous avons suivi le cours de l’eau, et nous nous retrouvons à ciel ouvert, en train de nous éloigner de notre refuge de glace. La voix de notre hôte s’éloigne de plus en plus, alors que nous nous immergeons dans un nouveau bruit sourd et aquatique, là où se rejoignent tous les ruisseaux : l’océan.

Cette fin d’album, c’est le moment magique du retour après un émerveillement candide. C’est la ponctuation, la coda du travail, non pas d’un musicien de terrain, mais celui d’un auteur. Ce dernier a su nous mettre un casque sur les oreilles afin de nous faire vivre le voyage qu’il a entrepris. Une réussite artistique qui rend hommage à la nature en la mettant au centre de son propos et de son imagerie. Qui eut cru écouter autant de richesse et de sensibilité d'un disque de glace ?

FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
Consigne du maître nageur :
picto 1.png
Slip de bain

Le Chant De La Glace
Ghost In The Loop
"Le Chant De La Glace"