Au fil de nos écoutes, certains albums et certaines pistes parviennent à capter notre attention. Des morceaux qui reviennent régulièrement dans nos playlists, nos oreilles, pour combler les moments creux ou tout simplement nous faire du bien. Dans Le Passage, nous revenons sur ces chansons qui rentrent dans notre panthéon, grâce à une partie qui la fait surnager au-dessus des autres.
On peut en faire des choses avec une guitare. Depuis son invention, les guitaristes n'ont cessé de se creuser les méninges pour parvenir à développer les sons et les idées autour de cet instrument. Plus de cordes, accordage plus bas, jeu avec des microtons, tout est bon pour apporter de la nuance dans l'instrumentation. Pourtant, malgré toutes ces années d'évolution, les choses les plus simples parviennent à saisir les auditeurs par leur limpidité, mais surtout l'intelligence de leurs utilisations.
Le Passage du jour va en être une très belle preuve puisque l'on va se pencher sur le slide. Cet effet est réalisé quand le guitariste ou bassiste fait glisser ses mains d'une frette à une autre sur son manche. Pouvant être ascendant ou descendant, cet effet, bien utilisé, peut marquer un changement de temps, de structure ou bien agrémenter une partie assez importante d'un titre.
Avant d'aller plus loin, un brin de contexte: nous sommes en 1969 et la musique Rock connaît un important bouillonnement. Le Flower Power et la vague psychédélique déferlent sur le monde avec comme point d'orgue le festival de Woodstock organisé en août de cette année. De l'autre côté de l'Atlantique, l'Angleterre voit déferler quelques entités musicales qui vont marquer l'histoire. Si les Beatles sont sur la fin, délivrant quand même un soyeux Abbey Road, la relève est déjà assurée. On pourra signaler les deux premiers albums de Led Zeppelin qui vont mettre une belle calotte aux auditeurs, tandis que le Prog va prendre une place proéminente. Si Deep Purple rejoindra la partie Psyché de la force, un quatuor va se distinguer et poser des classiques.
Si Pink Floyd offre au monde deux disques (More et Ummagumma), Yes et Genesis sortent du bois avec des premiers efforts de qualité. Mais ce petit monde doit s'incliner devant l'album au centre de ce Passage : In The Court Of The Crimson King de King Crimson. Peut-être la raison ayant poussé Black Sabbath à attendre 1970 pour sortir ses premiers albums.
Fusion des genres
Des titres plus longs et des arrangements à tiroir, bienvenue dans le rock progressif, genre s'affranchissant des codes pour se permettre d'incorporer des instruments différents et repousser les limites. On peut le voir sur ce premier album de King Crimson avec aucun titre allant en dessous des six minutes et surtout, des influences Jazz assumées et ce, dès la chanson d'ouverture.
Difficile d'avoir comme meilleure ouverture que 21st Century Schizoid Man. Une introduction légendaire à l'univers fantasque de King Crimson et de son leader Robert Fripp. Le riff principal vous prend l'oreille avant que le saxo Alto de Ian MacDonald ne vienne ajouter de la substance. Arrivent les couplets chantés par Greg Lake, également bassiste qu'on retrouvera plus tard dans le supergroupe Emerson Lake & Palmer. Un texte anti-guerre, rejoignant la forte montée de la pensée anti-invasion Etats-Unienne au Vietnam. Le titre est d'ailleurs une référence aux militaires qui seront frappés de syndromes post-traumatiques après cet affrontement.
Suivant une doublette couplet/refrain, le quatuor va se déchainer dans un déferlement sonore très Jazz, permettant à chacun des musiciens de se faire plaisir. Pendant plus de trois minutes, les Anglais vont emmener les auditeurs sur des terrains alors méconnus. Nous permettant d'arriver au Passage au cœur de cet article.
Il est toujours difficile de réussir à raccrocher différents wagons musicaux entre eux. Ici, King Crimson utilisera un artifice simple mais terriblement efficace : un slide. Quand on arrive à la marque des 5:47, Robert Fripp fait sonner sa guitare grâce à cette technique, annonçant de manière efficace le retour du riff principal, qui sonne encore plus méchant que lors de ses premières itérations. D'une simple glissade de main, le guitariste parvient à ramener tout le monde sur le bon chemin et permet d'amorcer la fin du titre de la plus belle des manières.
Le temps a passé, les fleurs ont fané et King Crimson est devenue cette entité légendaire de par ce premier album ayant marqué l'Histoire de la musique. Le plus fort étant que le titre d'ouverture ne vieillit pas et s'écoute encore aujourd'hui sans sentir les affres du vieillissement. Et bien que sur Soundbather, on aime voir les têtes couronnées séparées de leurs corps, on accorde une exception pour le roi cramoisi. Par amour du goût.