SLIFT : "ILION est à écouter comme une expérience pour repousser ses limites."

Voyage vers l'infini avec Jean Fossat

Les Toulousains de SLIFT font désormais parti des grands noms de la scène Stoner en France. Après une tournée titanesque pour défendre UMMON, leur deuxième album sorti en 2020, nous voici à l'aube d'une nouvelle ère dont la fondation se nomme ILION. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Jean Fossat, guitariste et chanteur du groupe, pour parler plus en détail de la création de leur troisième longue durée, de leurs expériences en live et de leurs inspirations pour leurs odyssées spatiales.

NDLR : Ce que vous allez lire est une retranscription d'une interview audio, certaines phrases peuvent avoir été modifiées à la retranscription pour le confort de votre lecture, mais aucun propos n'a été déformé.

Soundbather : Salut Jean, merci à toi d'avoir accepté l’interview ! J’espère que tu vas bien en cette période chargée pour SLIFT !

Jean : Merci à toi ! Oui, tout se passe bien, on est en pleine préparation pour la tournée d’ILION. Et en même temps on compose de nouveaux morceaux, donc mine de rien, le planning commence à redevenir chargé !

SB : Vous avez signé chez Sub Pop Records, avec qui vous avez sorti le single Unseen en 2022, puis pour promouvoir ILION, votre nouvel album. Déjà félicitations, je suppose que ça doit être une belle fierté pour le groupe et toi d’avoir signé chez un label aussi important ! Mais je me demandais si vous n'aviez pas une quelconque pression sur les épaules maintenant que vous êtes dans le label qui a apporté au monde la scène Grunge de Seattle ?

Jean : Ça nous a forcément fait quelque chose de savoir qu’un label aussi important se soit intéressé à notre musique ! Surtout que les gens chez Sub Pop sont tous très cool et qu’on s’est tous très bien entendu dès le début. Après, on ne se met pas la pression pour autant, mais ça nous fait tripper que trois gars qui viennent d’Ariège puissent sortir un disque chez Sub Pop !

SB : Surtout quand on voit le catalogue du label !

Jean : Ouais le catalogue est bien cochon. On est content de sortir ILION chez eux, c’est un super allié qui fait un super boulot et ça ne nous met absolument pas la pression pour le futur du groupe.

SB : À titre personnel, j’ai assisté à la première représentation live d’ILION au Roadburn 2022 pour le show Into The Unknown, et j’en garde un super souvenir ! Comment vous est venue l’idée de présenter l’album aux Pays-Bas quasiment deux ans avant sa sortie ?

Jean : Très bonne question ! C’est le Roadburn qui nous a contacté, ils avaient envie de faire quelque chose avec nous. Comme tu le sais, les artistes qui jouent là-bas proposent souvent des exclusivités ou des sets plus spéciaux, car c’est ancré dans l’histoire du festival.

Lorsque la proposition est tombée, on était en train de bosser sur ILION qui n’avait pas encore la forme qu’il a maintenant. Mais on s’était dit que c’était un bon challenge de présenter l’album sous cette forme au Roadburn ! Cet exercice d’exclusivité collait vraiment bien avec l'atmosphère du lieu.

Mine de rien ça nous a pas mal aidé, on a mis les bouchées doubles pour finir le disque avant le festival. Ça coulait de source pour nous d’accepter la proposition du Roadburn en jouant ILION.

272277692_486715389490517_2758904367311776184_n Promotion du premier show où SLIFT joua ILION sous le nom "Into The Unknown" au Roadburn 2022

SB : Après ce show, vous avez sans doute senti des modifications à apporter et le matériel que vous avez joué à Tilburg n'était pas dans sa forme finale. Ceci doit expliquer l’attente de 2 ans entre ce show et la sortie d’ILION ?

Jean : Effectivement, on bosse beaucoup entre concerts et répétitions. On teste des choses en live pour ensuite les ajuster dans le studio. Mais ce qui explique l’attente, c’est surtout qu’on a eu des emplois du temps très chargés après ce concert. On a repris les tournées, avec notamment plusieurs dizaines de dates aux États-Unis.

Au final, on a enregistré ILION quand on a pu, au moment où on avait une fenêtre ouverte de 2 mois sans concerts pour se poser et enregistrer l’album.

SB : Donc cette fenêtre d’enregistrement c’était avant le Roadburn ?

Jean : Non c’était bien après, on venait de terminer notre tournée pour UMMON. On a enregistré ILION dans sa forme finale en 2023.

SB : C’était un brouillon plutôt abouti que vous avez présenté aux Pays-Bas au final !

Jean : C’est ça, c’était tout le but du challenge de s'entraîner et de tester des nouveaux morceaux en conditions live !

SB : Dans l’équipe on est très fan de SLIFT. Après le show du Roadburn, j’avais dit à la rédaction que ce nouvel album serait bien différent de l'odyssée proposée par UMMON. On vous a revu au Sonic Whip en 2023 et ceux de l’équipe qui étaient avec moi ont eu la confirmation qu’ILION était bien plus sombre musicalement que son prédécesseur. Pourrais-tu nous parler des influences et des thématiques que vous développez sur ce disque ?

Jean : Quand on a sorti UMMON pendant le confinement, l’idée de la suite nous est vite venue. On voulait repousser nos propres limites à ce moment-là. On cherchait aussi à ne pas se répéter. Quand on a repris les enregistrements, j’ai jeté certaines pistes car c’était du matériel qu’on aurait pu sortir sur UMMON. Je suis un énorme fan de Jimi Hendrix, je le considère comme le Dieu de la guitare et du Rock. Mais on voulait emmagasiner de nouvelles influences pour apporter notre musique là où on ne l’avait pas encore amenée.

Nous avons digéré beaucoup d'influences pour écrire ILION. On a énormément écouté l’album Red de King Crimson, qu’on a découvert après UMMON mais qui est rapidement devenu un album de chevet. Il est très moderne dans sa production malgré le fait qu’il soit sorti en 1973. Et il y a eu effectivement des groupes très Post-Metal ou Post-Hardcore qu’on a écouté et que je trouvais tout aussi intéressants que le Jazz où tout autre style de musique qu’on écoute au quotidien.

Récemment, j’ai même découvert Oranssi Pazuzu pendant la composition de l’album, et j’ai trouvé leur proposition de s’approprier la musique psychédélique de cette manière vraiment intéressante. Tout cela a nourri le propos d’ILION : c’est des émotions que je ne retrouvais pas dans ce que je faisais avant, même dans le Rock Psyché et dans le Stoner en général.

Pour amener notre musique dans cette direction, on voulait expérimenter. On a poussé les phases ambiantes et atmosphériques. On ne s’est imposé aucune limite, on a tout poussé à fond ! Tous les morceaux sont ultra longs, on n'a rien coupé. On voulait vraiment voir où cela pouvait nous amener. Finalement, ILION est presque à voir et à écouter comme une expérience pour repousser ses limites.

SB : Dans l’album, vous tentez de nouvelles choses et ça marche ! Je pense à Nimh où tu te tentes au chant clair, il y a même des chœurs féminins. Mais la chanson qui me marque le plus dans ces expérimentations, c’est Confluence et son intro au saxophone. Ça m'a tout de suite fait penser à votre collaboration avec Étienne Jaumet et je suppose qu’il a fait aussi partie des influences pour ILION ?

Jean : C’est même lui qui joue la partie au saxophone et du synthé modulaire sur l’intro de Confluence ! Il nous a forcément influencé, on a fait cette collaboration avec lui pour le Roadburn et pour quelques shows. Ces dates nous ont vraiment marqués et il y a un peu de sa patte dans ILION. Il nous a fait découvrir plein de nouveaux artistes et même lui, en tant que musicien, est une grosse influence dans notre manière de composer.

SB : Vous deviez tourner avec lui sur quelques dates en 2022 en plus…

Jean : Oui, malheureusement Canek (NDLR : le batteur) s’est blessé au dos et on a dû annuler ces dates. On a, tout de même, pu en réaliser quelques-unes avec Étienne, mais ça a été un vrai crève-cœur car on a vraiment beaucoup aimé composer avec lui.

308012635_627247115632587_910450826989216214_n Photo : Ben Pi (@ben.pii sur instagram)

SB : Avec ces expérimentations, vous rajoutez des morceaux très longs dans votre discographie déjà très riche. Tu ne trouves pas ça compliqué de construire une setlist qui peut contenter tout le monde ? Cela doit être difficile de faire coexister des morceaux favoris des fans comme Lions, Tigers & Bears avec des nouveaux morceaux comme The Story That Has Never Been Told qui sont tout aussi longs !

Jean : Pour l’avoir testé en répète, ces morceaux cohabitent bien ensemble à vrai dire ! Puis nous allons jouer plus longtemps, on va partir sur des shows de 1h30, voire plus si on jam ou pas. Il y a des morceaux que l’on enlèvera pas de la setlist, car on aime les jouer en live. Tu parlais de Lions, Tigers & Bears, c’est un morceau qui va rester car c’est aussi un de nos favoris. On va quand même beaucoup jouer de ILION vu que nous sommes là pour défendre l’album. On est sur un ratio de 70% ILION, et 30% d’anciens morceaux.

SB : J’ai un très bon souvenir de votre Levitation Session sortie en 2021, où dessus se trouve une version live de Heavy Road, que je n’ai pas encore eu l’occasion de voir en live, donc j’espère avoir de belles surprises !

Jean : C’est un morceau que j’adore aussi ! Et ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd que de jouer de plus vieux morceaux ferait plaisir !

SB : Après, j’ai découvert, comme beaucoup, la musique de SLIFT avec votre prestation chez KEXP en 2020 pour défendre UMMON. Et vous y êtes retourné pour jouer en exclusivité des morceaux d’ILION. Comment s’est formé ce lien entre le groupe et KEXP ?

Jean : Ça a été un gros tremplin pour nous ! Quand on a joué la première session pour UMMON, c’était à l’occasion des Transmusicales à Rennes, festival duquel KEXP est partenaire. Ils viennent enregistrer des sessions avec les artistes présents. Ils avaient eu de bons retours du public nous concernant et nous ont proposé de passer sous leurs caméras. Ça s’est extrêmement bien déroulé et ils ont toujours été ouverts pour nous accueillir dans leurs locaux aux États-Unis, ce qu’on a fait pour ILION. On est hyper contents de travailler avec eux et ils sont aussi conscients qu’ils nous ont été d’une aide phénoménale dans notre carrière. On a un lien assez unique avec les gens de KEXP et c’est une chance.

SB : Dans SLIFT, vous développez une mythologie assez unique. Vous parlez d’Hyperion, un titan perdu dans l’espace, de mondes comme Uruk ou Nimh... qu’est-ce qui vous inspire pour concevoir votre univers ?

Jean : Ça peut être des livres, des films où d’autres groupes également ! Pour UMMON c’était pas mal de littérature, le livre Hyperion était hyper important pour les thèmes et les inspirations du disque. On est très fans de mythologie en général, ça nous a beaucoup influencé dès notre enfance. Sur UMMON, avec l’exil du titan, il y avait une grosse inspiration de l’Odyssée d'Homère. La suite logique est arrivée avec ILION, où on a voulu faire l’Iliade pour continuer le récit. Ce qui explique le nom de l’album.

Après, on aime bien que les gens se fassent leurs propres idées. Les textes restent ouverts à l’imagination et chacun peut y voir ce qu’il veut. L’album aura autant d’histoires que de personnes qui vont l'écouter.

SB : En parlant d’influences, on est obligé d’évoquer l’éléphant dans le magasin de porcelaine, à savoir Philippe Caza. Vous aviez déjà longuement expliqué le choix de ses illustrations pour la pochette d’UMMON en 2020, qui est pour rappel un scan qu’il vous a envoyé de l’Oiseau-Poussière. Et vous avez refait appel à lui pour ILION

Jean : On a utilisé le même principe que pour UMMON. L’artwork d’ILION est une illustration qu’il nous a envoyé et qui date, elle aussi, des années 70. À la différence que pour ILION, on a reçu le dessin après avoir composé la musique. Sur UMMON, l’artwork de l’Oiseau-Poussière a vraiment influencé l’enregistrement du disque. Que ce soit avec ses teintes noires et blanches et les thématiques spatiales. Mais sur ILION, nous n’avons pas ressenti ce besoin, on savait juste qu’on voulait de nouveau une illustration de Caza sur la pochette, pour garder une continuité avec UMMON.

SB : Ça permet d’avoir un diptyque, comme vous avez pu le faire avec Space Is The Key et La Planète Inexplorée, qui eux, ont eu des pochettes d’albums signées par Pierre Ferrero !

Jean : Exactement ! C’est cool que quelqu’un remarque qu’on fonctionne en diptyques !

EG46S2UID7ECDLA7DFZS3K5GVQ Artwork original de Philippe Caza, utilisé pour la pochette d'Ummon, datant de 1975

SB : Vous avez sorti UMMON pendant la Pandémie, mais cela ne vous a pas empêché de tourner pendant deux ans. Quels souvenirs gardes-tu de cette tournée ?

Jean : C’était une tournée assez longue, donc il y en a eu plein ! Quand tu repenses à une tournée, même si elle s’est déroulée il y a peu, elle devient vite un rêve un peu brumeux. Il m’arrive de confondre les salles et les dates qu’on a faites. Mais je me souviens quand même de certains concerts assis qu’on a fait pendant la pandémie qui dégageaient une énergie folle malgré le contexte.

SB : Il y en a eu un au Grand Mix de Tourcoing ! J’y étais et c’était excellent !

Jean : J’allais parler de Tourcoing justement ! J'ai un bon souvenir de cette ambiance de la reprise de la vie après la pandémie !

Même pendant la tournée américaine, nous avons fait un détour par le Mexique, pour faire une unique date dans la capitale. C’était une folie furieuse, le public était extrême, et il y avait une ambiance folle. Les dates de festivals aux États-Unis ou en Angleterre nous ont bien marqué aussi, on a eu l’occasion de faire des Desertfest, des Hellfest, des Roadburn... UMMON nous a fait jouer dans énormément d’endroits où ne pensait pas y jouer un jour. Et cela, avec le confinement qui nous a forcé à faire une pause. C’était vraiment une tournée extraordinaire.

SB : Les gens réagissent bien à l’énergie que vous donnez en live. Vos concerts vous demandent un maximum d’énergie je trouve ! Est-ce que vous arrivez à garder autant de poigne sur toute une tournée ? Surtout avec la nouvelle qui arrive, comment appréhendes-tu ces nouvelles dates ?

Jean : On commence à avoir l’habitude des tournées ! Et mine de rien elles sont beaucoup mieux organisées qu'à nos débuts. On va faire beaucoup de dates mais moins qu’avant. Quand on a commencé le groupe, on essayait de jouer partout et le plus possible. C’était vraiment éreintant, surtout qu’on faisait tout nous-même, on conduisait notre van et sur la route il fallait s’occuper des réservations d'hôtels, de respecter les horaires d’arrivée !

Aujourd’hui, on est entouré, on a un régisseur qui nous aide et ça nous a vraiment allégé la charge mentale et physique ! Donc on appréhende plutôt bien la nouvelle tournée d’ILION. On a même hâte que ça reprenne !

312830696_661598272197471_1345028822164319729_n Photo : Micheal Lockheart

SB : On vous affilie quand même pas mal à la scène Stoner, de par les festivals comme les Desertfests ou autres Valley de Hellfest où vous jouez. Vous vous sentez bien dans cette scène ?

Jean : Elle nous a complément ouvert ses portes et nous a vraiment bien accueilli. Même avant UMMON, avant qu’on ne joue dans les grands festivals, j’ai le souvenir de voir plein de gens venir à nos concerts qui écoutaient du Stoner. Ça parlait à ce public là, mais c’est aussi car c’est un style qu’on a beaucoup écouté. Je suis un grand fan de Boredoms ou de The Psychic Paramount dans les styles psychédéliques.

Après on ne cherche pas forcément à appartenir à une chapelle ou à se revendiquer d’une scène en particulier. Par exemple en France, pour sortir du Stoner, j’aime beaucoup Birds In Row, j’adore ce genre de groupes qui jouent leur vie sur scène et c'est ce que j’espère apporter avec SLIFT. Notre son évoluera au fil des albums, je me méfie des étiquettes cependant, je ne sais pas dire si aujourd’hui, au vu de nos influences on fait du pur Stoner ou non !

SB : Pour finir, si tu as des recommandations d’artistes de la scène Toulousaine ou d'ailleurs, de films, ou si tu veux simplement inciter les gens à venir à un concert de SLIFT, le mot de la fin est pour toi !

Jean : Je vais parler de la scène Toulousaine dans ce cas, car y a de supers groupes ! Y a un groupe qui s’appelle Edredon Sensible qui fait de la Trance avec du Free Jazz et que j’adore en live. Y a aussi Karkara qui font du psyché à tendance Stoner, qui pourrait plaire aux amateurs de la scène. Je peux aussi citer Bruit ≤ qui commence à être bien connu, il y a beaucoup de groupes à suivre à Toulouse, qui pour le moment ne sortent pas trop de la ville. Mais j’espère que les gens vont les découvrir pour qu’ils s’exportent ! Allez jetez une oreille à ça !

SB : Merci Jean pour l’interview !

Jean : Merci à toi, et à bientôt !

Crédits :

Photo de Jean Fossat : Quentin Castel (make-things-happen.fr)

Photo de couverture : Ben Pi (@ben.pii sur Instagram)

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  • Rôle(s) : Synthétiseur, Guitare, Chant
  • Projet(s) : SLIFT
  • Pays : France