SLIFT - ILION

Crépuscule aux confins

Lorsque l’on regarde le ciel nocturne, bien souvent nos pensées s’embrument. L’immensité de l’espace devient un terrain fertile pour notre imagination. Des mondes bien différents du nôtre, sur lequel nous sommes coincés, s’offrent à nous. Alors, des aventures que l'on ne peut que fantasmer se dessinent dans notre cerveau. Nous voici avec le plus merveilleux des paysages pour nous faire voyager.

En 2020, c’était au tour de trois Toulousains de s’envoler vers les confins de l’espace, équipés de leurs moteurs soniques, pour raconter l’exil du titan Hyperion. Un récit fictif dont est sorti l’un des albums les plus appréciés de la scène Stoner cette année-là : UMMON, second opus de SLIFT. Une véritable épopée psychédélique voguant dans des contrées ultra énergétiques, puisant dans des teintes spatiales apportées par un synthétiseur et un thérémine subtilement déposés lors des climax de l’aventure. La formation a posé une immense pierre à l’édifice musical du Stoner, faisant instantanément d’eux un groupe sur lequel il faut garder une oreille attentive à chaque sortie.

Quelques années avant notre épopée, la rencontre entre le groupe et KEXP aux Transmusicales de Rennes a permis d’accompagner la sortie d’UMMON d’une session live. Véritable rampe de lancement pour la formation, cette performance filmée a propulsé la hype autour des Toulousains vers une strate supérieure. Voyant ainsi sa carrière boostée, le trio a pu s’offrir une solide tournée européenne leur permettant de s'envoler jusqu’au continent américain à la sortie des années covid.

C’est aujourd'hui l’heure d’un nouveau départ. Embarquement immédiat dans le vaisseau flambant neuf de SLIFT nommé ILION, leur troisième longue durée explorant des territoires plus sombres. Pour ce voyage, la cargaison transportée est plus corrosive et plus lourde que ce à quoi nous a habitué le trio. Si UMMON évoquait des fresques psychédéliques, celui-ci sera plus terre à terre, évoquant les émotions d’un protagoniste jamais nommé et de ce qu’il ressentira lors de son voyage au-delà des étoiles…

L’occasion de remettre le couvert chez KEXP dans leur studio de Seattle, cette fois pour dévoiler les trois premiers morceaux d’ILION : le titre éponyme, Nimh et The Words That Have Never Been Heard. Trois compositions impressionnantes par l’intensité qu’elles dégagent et le départ canon qu’elles insufflent à l’album. On serait presque pris au dépourvu de découvrir des morceaux si copieux en début de tracklist. L’efficacité ne passe cette fois plus par les riffs, mais par la construction de longues pièces à la portée grandiose, les chansons ne descendant pas sous la barre des 8:30 si on omet l’outro Enter the Loop.

Une première partie atteignant son sommet avec The Words That Have Never Been Heard, un morceau qui aurait d'ailleurs pu faire une excellente conclusion à l’album. Avec son motif répété par les chœurs, son orgue spatial et ses claquements de cordes singeant des alarmes, le titre nous perd dans le dédale des coursives d’un vaisseau en perdition. L’urgence générée par des avaries internes nous expose à l’écrasante menace que fait peser le vide de l’espace sur l’engin à bord duquel nous nous trouvons. Le contraste dans l’instrumentation souligne le rapport d’échelle terrifiant entre l’impressionnante technologie nécessaire au voyage spatial et sa vulnérabilité face à la moindre particule stellaire.

Après un tel titre, il semblait bien difficile de donner une suite au sein d’un album dont on n’a pourtant pas encore parcouru la moitié. Aller dans la surenchère aurait sûrement été l’erreur à ne pas commettre, il est donc temps d’apporter de la fraîcheur au son de SLIFT. Surgit alors, des confins de la reverb, le saxophone d’Etienne Jaumet avec qui les Toulousains ont partagé quelques dates. L’association de l’instrument à vent et de claviers modulaires donne à Confluence une tonalité extra-terrestre. Difficile à dire si, après le naufrage, on se retrouve à dériver autour d’un astre inconnu, ou si c’est une entité échappant à notre connaissance qui est venue nous repêcher mais une chose est sûre : nous voguons hors de notre terrain de compréhension.

Car oui, ceux qui avaient apprécié l’énergie psychédélique d’UMMON se sentiront un peu perdus dans les nouvelles nébuleuses que le groupe explore. Chaque piste enchaîne plusieurs ponts et breaks. De véritables morceaux à tiroirs où les instruments sont accordés bien plus bas. Le trio a englouti tout un tas de nouvelles influences pour composer ce disque. On peut ressentir certains passages que des Cult Of Luna ou Amenra n'auraient pas reniés, mais toujours avec cette fougue au synthétiseur que SLIFT manie désormais à la perfection.

Mais ce disque ne tire pas ses influences que du Post Metal pour autant, l’incursion en territoires Jazz sur l’introduction de Confluence en est un bon exemple. Malgré tout, ce sont bien les sonorités spatiales qui l’emportent. SLIFT utilise ses synthés et ses riffs poussés sur plusieurs minutes pour continuer l’exploration au sein de laquelle on décèle tout de même quelques points communs avec UMMON.

Weavers' Weft et son calme planant pourraient rappeler ce que Dark Was Space, Cold Were The Stars était pour le précédent disque, mais encore une fois, les ambitions d’ILION débordent et envahissent l’espace d’écoute. Ce qui semblait être un interlude est en réalité un nouveau périple.

En témoigne le dernier acte de l’album : The Story That Has Never Been Told. Le trajet reprend tranquillement accompagné par un motif récurrent joué aux cordes, pavant régulièrement notre voie. On ne sait trop dire si on vogue à vue ou si les instruments se laissent porter à la dérive dans une jam paisible, mais le chant de Jean et la petite phrase mélodique reviennent immanquablement garder le cap. Quand soudain, les moteurs se coupent, les instruments se taisent et seuls subsistent les chœurs. Perdu dans le vide, monte alors le grondement des réacteurs, perceptibles uniquement par l’onde de choc provoquée par leurs toussotements dans la coque. Malgré le quasi-silence qui règne dans l’insondable couche de vide, ce tonnerre sourd donne un avant-goût de la puissance qu’ils s'apprêtent à délivrer.

Le motif revient alors, inlassablement répété pour propulser le bolide à travers les confins. L'arpège, s’envolant au rythme des moteurs du vaisseau, développe une vitesse et une inertie absolument grisante. Tout notre esprit est enveloppé par la basse qui porte le morceau et la cavalcade des instruments qui nous emporte à la vitesse de la lumière. On peut aisément classer cette outro de The Story That Has Never Been Told comme un des meilleurs moments de l’album et même l’une des meilleures compositions du groupe.

S'il n’y avait qu’un défaut à trouver dans cette odyssée, c’est que l’album s’ouvre et se conclut sur deux chaînes de montagnes aux sommets vertigineux.. Ce qui nous laisse un milieu d’album se baladant dans une vallée où les paysages n’arrivent pas à nous accrocher autant que les panoramas laissés sur les crêtes du récit. Mais c’est peut-être une bonne chose d’avoir la présence de pistes comme Weavers’ Weft ou Uruk pour nous permettre de respirer après avoir digéré une expédition aussi intense. Car lorsque l’on décide d’entreprendre un voyage spatial, on y trouve forcément des longueurs en voyant tout le chemin à parcourir.

C’est d’ailleurs la première appréhension que l’on pourra ressentir en voyant la durée des pistes. Un véritable marathon s’ouvre à nous lorsque l’on lance l’album. On sait dès l’ouverture que ce sera un challenge pour arriver au bout du disque mais la satisfaction d’en endurer toute l’aventure en vaut la peine.

L’univers des Toulousains n’aura jamais été aussi prenant. Ce voyage vers de nouveaux confins fait partie des quelques odyssées dont on ne sort pas indemne. La mythologie de SLIFT continue son développement de la plus belle des façons avec ILION. Un nouveau récit homérique dont nous ne connaissons pas le scénario, mais où nous sommes complétement embarqués, tant les émotions et les territoires explorés sont intenses. Si cette histoire n’avait encore jamais été racontée, elle a toutefois été sublimement mise en musique.

ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
PsychédélismeIndice sur le côté psyché de l'album. 1/5 : On est dans le concret, le dur. 5/5 : vous voyez des couleurs défiler devant vos yeux et la musique vous propose un voyage initiatique en vous-même
ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
Consigne du maître nageur :
Scaphandre
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