Between The Buried And Me - Colors

Sous l'arc en ciel, le pot rempli d'or

Chaque annonce d'album est suivie d'une hype et d'une excitation. Il est rare que des fans ne désirent pas de la nouveauté provenant de leur formation favorite. Néanmoins, quand Between The Buried And Me a annoncé l'arrivée de Colors II, on a pu voir une autre émotion au compteur : la peur. Est-ce que ce disque allait réussir à prendre la suite de Colors ? Réponse tout de....
Et non, pas tout de suite. Avant d'aborder le dernier-né des productions BTBAM, revenons dans le temps. Quitte à plonger dans une œuvre aussi dense, autant revoir le "préquelle du sequelle" non ?

Nous sommes alors en l'an 2000. Si Paco Rabanne s'est bien planté en annonçant le fameux bug, la Caroline du Nord verra débarquer une entité musicale dont les contours sont encore assez changeants. La base s'articule autour de Tommy Giles Rogers au chant et aux claviers ainsi que de Paul Waggoner à la guitare lead et aux chœurs. À leurs côtés, un jeu de chaises musicales qui durera 5 ans. L'occasion de voir passer trois guitaristes rythmiques, deux bassistes et quatre batteurs différents avant d'enfin obtenir le line-up final de Between The Buried And Me. Durant cette période, le groupe sortira deux albums, un éponyme en 2002 suivi de The Silent Circus un an après. Il faudra attendre 2005 et la sortie d'Alaska pour que BTBAM capte l'œil et les oreilles des fans et des critiques avec leur mathcore/metalcore qui se teinte, au fil des années, de plusieurs influences dont le prog.

Autour du duo Rogers/Waggoner se sont greffés Dusty Waring à la seconde guitare, Dan Briggs à la basse et Blake Richardson à la batterie. C'est avec cette structure que la formation évolue encore maintenant, preuve que le tâtonnement au recrutement aura finalement été bénéfique. Le troisième méfait des Nord-Caroliniens leur permettra d'enchaîner les tournées, notamment en 2006 avec l'Ozzfest, festival itinérant mis en place par le label Victory Records. Une expérience amère, comme le racontera Briggs pour MetalSucks :

Victory Records used some insane amount of money to put us on this tour where we weren’t getting paid (also further making sure we never saw any royalties) and where we stuck out like a sore thumb. Playing between 9am-noon to a few rows of people in the absolute blistering heat [...] and generally being treated by the people running the fest like we were subhumans was all the motivation we needed to write like we wanted to distance ourselves from that festival.

Cette mauvaise expérience donnera l'envie au groupe d'écrire un album ambitieux. Et contrairement à Alaska qui fut un petit peu expédié, le quintette prendra le temps de faire des démos et de maquetter les différents titres qui composeront leur futur 4ème disque (The Anatomy Of mis à part, étant un album de reprises sorti en 2006). Mais surtout, les membres ne veulent rien laisser de côté. Ils vont se donner corps et âme à cette entreprise :

We were writing a musically conceptual, no rules, nothing left on the table record. We weren’t only going to write a record, we were going to live in it; eat, sleep and breathe it. We were going to push ourselves and no one was going to hear from us until we’d brought the album full circle and delivered it as a complete piece. (Dan Briggs, Metalsucks)

Entre idées trouvées lors de la tournée Ozzfest, brainstorming collectif et travail d'orfèvre, BTBAM s'applique pour proposer le 18 septembre 2007 Colors, album concept dans sa composition puisque toutes les pistes s'enchaînent comme si elles ne formaient qu'une seule et immense pièce. Huit pistes pour plus d'une heure de musique, le quintette se sera fait plaisir sur les idées et ce dès l'introduction.

Piano, voix claire, l'accueil dans le monde de Colors se fait de manière plutôt douce. Un appât pour mieux pouvoir enfermer les auditeurs dans cette entreprise, puisque dans cette même introduction, Blake Richardson s'échauffe avec un blast beat saignant tandis que Rogers montre l'étendue de sa palette vocale au moment de la transition entre Foam Born (A) The Backtrack et (B) The Decade Of Statues.

This is probably a good time to mention that I was wildly excited to finally be a part of writing a concept album, even though we knew lyrically it wouldn’t be connected. (Dan Briggs, Metalsucks)

Si l'on pourrait s'imaginer avoir du mal à discerner les pistes les unes des autres, la démarcation entre chacune d'entre elles apparaît limpide tant BTBAM s'est appliqué à donner une patine bien distincte à chacune d'elles. Cependant, il faut saluer la qualité des transitions qui sont, à elles seules, des immanquables. Celles qui lient Informal Gluttony, Sun Of Nothing et Ants Of The Sky sont remarquables et ajoutent de la qualité à un cœur d'album déjà fourni.

Avec "seulement" huit morceaux, Between The Buried And Me a pris le temps de développer ses idées sur la longueur. Trois titres vont dépasser la dizaine de minutes, l'occasion donc de pouvoir aller assez loin dans la folie.
Non content d'explorer les territoires progressifs, le quintette se permet des excentricités qui, par le biais du temps, deviendront des marques de fabrique. Entre autres, on peut citer les passages comédie musicale et bossa nova sur Sun Of Nothing, le moment country sur Ants Of The Sky ou bien la petite pause polka sur Prequel To The Sequel.
On est à chaque fois surpris, mais ces petites parties permettent d'avoir des moments de repos bienvenus dans ce périple. Car tout autour de cette fantaisie se cache une démonstration de force des cinq membres.

Tommy Giles Rogers évolue du chant clair au scream en passant par le fry ou le death growl avec une facilité déconcertante. Si Dustie Waring est un métronome s'assurant que tout reste en place avec sa guitare, son compère Paul Waggoner s'en donne à cœur joie sur les parties solos, en particulier celui se trouvant en fin de White Walls, sans doute l'un des meilleurs de sa carrière.
Pour que tout ne soit pas bancal, il faut une section rythmique solide. Par chance, BTBAM possède un duo basse/batterie faisant partie des plus respectés du metal progressif. Dan Briggs, en plus d'accompagner Rogers aux claviers et sur certaines voix, s'occupe de jouer de la basse avec un talent incomparable. Il n'est pas rare de notifier certaines de ses lignes parmi l'avalanche sonore qui déboule dans nos oreilles. Sur chacune des pistes, Briggs saura vous régaler. Mention spéciale à Viridian, instrumentale qui sert de pause sur la fin du disque et qui permet au bassiste d'étaler tout son talent avec plus de clarté, l'ambiance étant plus calme.

Enfin, la pieuvre : Blake Richardson. Il ne serait pas lui rendre justice que de sortir qu'une seule de ses parties de batterie tant tout cet album est une masterclass. Le tout en étant âgé de seulement 23 ans. Sa gamme est ultra complète et ne s'arrête pas à un simple jeu metal puisque Richardson a étudié avec Robert Crutchfield, batteur/percussionniste typé jazz. Cela rend sa palette très large, lui permettant d'être très subtil par moments et plus direct quand nécessaire.

Musicalement, le quintette se devait d'être très solide puisque l'entreprise était de lier chaque morceaux entre eux. Maintenant, ne croyez pas que seuls les instruments brillent. Certes, les textes ne racontent pas une histoire comme d'autres albums concept ont pu le faire, il est néanmoins facile d'y voir des témoignages de la vie de BTBAM lors de cette tournée Ozzfest déclencheur des concepts de ce Colors.

Une des pièces majeures se trouve dans Sun of Nothing. On retrouve un texte écrit par Tommy Giles Rogers et qui comporte plusieurs angles de lecture. Au premier degré, on pourrait simplement assister à la description d'un voyage spatial du point de vue d'un astronaute, quittant la Terre pour se jeter dans le soleil. Sauf qu'il se rend compte, en cours de voyage, que sa vie valait le coup mais qu'il n'y a pas de retour possible, d'où le "Sun of Nothing". Ces lignes peuvent aussi se lire du point de vue d'un personnage ne trouvant plus de joie dans la vie et décidant d'en finir. Et encore, même dans ce point de vue on peut encore débattre sur la finalité.

Yes, I am lonely
It's to be expected
I'll sleep now

Doit-on y voir un sommeil réel ou bien définitif ? Est-ce que le "Sun Of Nothing" n'est finalement pas cet endroit vide représentant une dépression ? Cette écriture offrant différents degrés d'interprétation vont jalonner la carrière de BTBAM, permettant aux auditeurs de s'accaparer les textes et de les creuser à leur convenance.

On peut retrouver cette même thématique sur Foam Born (B) The Decade of Statues où la dépression est dépeinte à travers ces paroles.

It's a must these days
For the colors are fading

Sur Ants Of The Sky, il est évoqué "The Walking Dead" comme dernières paroles. Et s'il est facile d'imaginer un texte évoquant des zombies, Rogers s'est attelé à parler de personnes souffrant d'alcoolisme et/ou de problèmes de médication/drogues.

Why should we sleep today?
Why should we awake tomorrow?
We can just pop back a few
And drift through

La force de Rogers est dans la façon d'amener ses paroles et la manière de savoir contrebalancer scream et chant clair. Que ça soit sur Sun Of Nothing ou Ants Of The Sky, le vocaliste arrive à créer des moments qui donnent envie au public de le suivre dans ses envolées vocales.

À côté, le groupe n'est pas en reste puisqu'il parvient également à donner vie aux paroles avec notamment Informal Gluttony et son ambiance égyptienne sur l'intro, renvoyant à la thématique de l'esclavagisme, en vogue du temps des Pharaons et encore présent de nos jours de manière plus sournoise. Le texte y fait évidemment référence, spécialement sur son refrain qui fonctionne en ping-pong avec la phrase "Feed Me Fear" entourée des mots "Informal" et "Gluttony". Une façon de montrer que les différentes strates de notre société vivent dans la peur :

Les classes modestes dans la peur de ne plus avoir de travail (Informal) et les puissants dans la peur de ne pas avoir assez de pouvoir et d'argent, utilisant d'autant plus les autres pour parvenir à leurs fins (Gluttony)

Comme BTBAM est une entité qui n'aime pas se prendre la tête (rires), le groupe va entremêler ses différentes sorties via la chanson Prequel To The Sequel. Le titre ici n'est pas trompeur puisque les paroles se situent en amont de l'histoire décrite dans Lost Perfection A & B se trouvant sur The Silent Circus sorti en 2003. Mieux encore, avec ces pistes, on est introduit au personnage de Prospect 2 qui sera central à The Parallax I & II, publiés respectivement en 2011 et 2012. Un diptyque d'une extrême qualité dont l'histoire vous est détaillée ici.

Pour revenir sur PTTS, on peut noter l'intervention vocale d'Adam Rupert Fisher, ex-guitariste de Fear Before aujourd'hui au line-up d'Orbs, side-project d'un certain Dan Briggs. Néanmoins, ce qui frappe sur cette chanson, et c'est le cas de le dire, c'est le jeu de Blake Richardson. Le batteur s'en donne à cœur joie pour ce qui est, probablement, sa plus belle performance sur ce Colors.

Nonobstant, il semble impensable d'évoquer cet album sans toucher deux mots sur sa conclusion magistrale : White Walls. Un parpaing de 14 minutes tirant à boulets rouges sur l'industrie musicale et ses fans, souhaitant avant tout des choses faciles d'accès plutôt que de l'originalité.

Néanmoins, Between The Buried And Me critique aussi les groupes qui se contentent de plaire au public en leur donnant toujours la même recette.

Don't show them who you truly are
Who would want honesty?
Who would want a group of people that one can relate with?

Loin de s'échapper de toutes critiques, Between The Buried And Me ouvre cette piste par une auto-critique assez violente, se comparant à des "whores" et même des monstres, se vendant pour essayer d'attirer le plus de personnes au lieu de se faire confiance.

The monsters are made
And we have proven that we'll be one of them
The whores take the stage
The whores take the stage

Les Caroliniens évoquent même leurs propres choix en citant une de leurs anciennes chansons bien reçue par les fans : Camilla Rhodes tirée de The Silent Circus.

It's not a musical journey anymore
They chose Camilla and we stood by her the entire time
Monotonous expression, a forced replica of a tired sound
Puppets for a greed-driven carnival
The same charade as the passing years
Force me out there

À travers cette piste, on comprend le voyage et le dessein de BTBAM : ne plus se conformer et aller au plus loin de leurs idées. Quelque chose de mis en œuvre sur ce Colors et annonciateur des projets futurs. Cet album se doit d'être un nouveau départ et le titre de cette piste, White Walls, est une métaphore pour évoquer tout ceci. Ils repartent à zéro et ont tout à construire. Ce n'est pas anodin que les toutes dernières paroles du disque soient "White Walls" par ailleurs.

L'occasion de remettre une couche sur l'instrumentation folle de ce morceau, faisant passer les 14 minutes comme une lettre à la poste, notamment grâce au travail de Paul Waggoner, excellent du début à la fin. Un titre rentré dans le cœur des fans du groupe tant il arrive à fusionner des paroles fortes, une musique incroyable et une symbolique puissante.

Lors de sa sortie, le disque fut très bien accueilli notamment par une des inspirations du groupe : Mike Portnoy. Alors batteur de Dream Theater, il placera Colors comme son album préféré de 2007, offrant une visibilité supplémentaire au quintette qui commençait à bien se montrer sur la sphère Prog. BTBAM fait partie de cette génération de groupes ayant dépoussiéré fortement le metal progressif tombé dans une certaine rengaine avec des entités bien établies. Eux, Protest The Hero et un peu plus tard Periphery, entre autres, permettront au prog de redevenir un genre frais.

Afin de conclure sous les meilleurs auspices, citons une dernière fois Tommy Giles Rogers sur White Walls. Le parolier faisait un constat amer de ce que doivent être les groupes et de l'importance de laisser une trace avec sa musique, il n'aurait jamais pu prévoir que ces paroles allaient s'avérer d'une vérité implacable.

This is all we have
When we die
It's what's left of us
When we die

We will be remembered for this
We will be remembered for this
We will be remembered for this
We will be remembered for this
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
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Scaphandre
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