Le Passage #16 - Meshuggah - The Mouth Licking What You've Bled

Suspension

Au fil de nos écoutes, certains albums et certaines pistes parviennent à capter notre attention. Des morceaux qui reviennent régulièrement dans nos playlists, nos oreilles, pour combler les moments creux ou tout simplement nous faire du bien. Dans Le Passage, nous revenons sur ces chansons qui rentrent dans notre panthéon, grâce à une partie qui les fait surnager au-dessus des autres.

La beauté au sein d'une avalanche de violence désordonnée : voilà comment on pourrait décrire Meshuggah. Ce sentiment est particulièrement présent sur leur album de 1998, le bien-nommé Chaosphere. Plus rapide que les autres sorties du groupe, c'est également celui qui semble le plus bordélique à l'écoute. En dehors de ce passage, si vous avez besoin d'une preuve, écoutez donc Elastic à 11:19.

En seconde position du disque, on trouve un morceau du groupe aussi mythique que son clip, New Millenium Cyanide Christ. Bien qu'il soit un excellent condensé de Chaosphere, c'est plutôt The Mouth Licking What You've Bled qui nous intéresse. Très rapide pour les standards du groupe, le titre ne prend aucune pincette avec son audience. Gros riff avec une lead inquiétante dès l'intro, petit pont et refrain agressif : on est jetés dans le bain.

Tout au long du morceau, les leads de Fredrik Thordendal installent un malaise, une angoisse entre ses différentes parties. La tension est là, exacerbée par le sujet des paroles : elles présentent une personne, commune sous tout aspect, mais pourtant abjecte. On pourrait la qualifier d'ordure, se réjouissant par exemple du malheur des autres, d'où le titre "La Bouche Léchant Ce Que Tu As Saigné". Le poids s'intensifie sur le refrain, la personne s'enorgueillant de son antipathie tout en nous rappelant à quel point ses odieux traits sont présents dans la société. Dans le même temps, les instruments ne faiblissent pas à la tâche, nous assénant de coups sans répit. On sent qu'un barrage va céder, que cette spirale va atteindre le point de non-retour. Ce sinistre carnaval aura bien une fin à un moment. Et après un dernier "I'M COMMON" de Jens Kidman, tout, ou presque, s'arrête pendant deux secondes à 1:05.

Seule une guitare est entendue, jouant un motif aussi simple que sadique. Ces deux secondes en suspens font tout. Elles avertissent que les barrières sont tombées. Les appréhensions sont oubliées, la honte d'avoir pu ressentir ce qu'a ressenti le personnage également. Tout le mal qu'on peut renfermer, garder ou cacher en nous n'est plus un problème.

Ce court riff de 7 cordes, c'est le signal pour tout extérioriser, pour tout évacuer sans retenue, expulser la part d'ombre qu'on dissimule. Le groupe ne s'y trompe pas, Fredrik sortant un solo ravageur directement après, au milieu d'une section chaotique, sans raison ni logique. Il a presque l'air instinctif : jouant un strumming puis un tapping, il coupe ce dernier au milieu pour recommencer, comme s'il se reprenait après avoir foiré un passage sous l'émotion.

Cet instant, c'est regarder son pote droit dans les yeux et sans rien dire, comprendre qu'on va aller s'enfoncer dans le pit et participer au massacre que Meshuggah nous laisse perpétrer.

La suite du titre, bien qu'excellente, est dérisoire face à la force de cette section : tout a été prononcé avec trois simples notes. Il n'y a pas besoin d'en dire plus.

*Sur cette version live, le passage est à 1:29

ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
Consigne du maître nageur :
Scaphandre
Scaphandre

meshuggah_chaosphere
Meshuggah
"Chaosphere"