Mastodon - The Hunter

À la chasse au succès

Construire une discographie n'est pas chose aisée, d'autant plus quand le succès n'en finit plus d'arriver. Savoir conquérir de nouvelles oreilles en satisfaisant les plus anciennes est un exercice difficile pouvant parfois mener à des virages mortels. Nombreuses sont les entités à s'être cassées les dents à trop s'éloigner de leur recette originelle, ou juste en amorçant un changement qui s'avère surprenant. Il existe néanmoins des exemples de transition réussie et le quartette au centre de cet article en est peut être la plus belle preuve. En 2011, Mastodon dévoilait à la face du monde The Hunter, cinquième disque d'une discographie jusqu'ici parfaite. Retour sur les 10 ans d'un album un peu boudé et pourtant si important.

Avant de plonger dans cette galette, effectuons un retour en arrière : Mastodon est un quatuor formé en 1999 à Atlanta. D'abord un quintette, le départ de leur vocaliste Eric Saner poussera les autres membres à prendre la position de chanteur. Après deux EP en 2001, c'est Remission qui voit le jour l'année suivante. Armés d'un sludge puissant et dévastateur, les quatre amis vont se faire repérer par les critiques et les fans. Il faudra attendre deux ans pour la première consécration avec Leviathan, deuxième partie d'une quadrilogie des éléments axée ici sur l'eau, après le feu du premier opus. Si les sonorités sludge sont omniprésentes, on sent déjà une volonté d'incorporer des éléments plus progressifs. Une envie qui sera poussée sur Blood Mountain, porté sur la terre et sorti en 2006. Carton d'estime qui amènera même une nomination aux Grammys pour Colony Of Birchmen, seulement battu par Eyes To The Insane de Slayer dans la catégorie "Best Metal Performance". On pourra aussi noter une tournée en première partie de Tool, ce qui n'est pas à négliger.

Arrive 2009 : dernier volet de la quadrilogie des éléments porté sur l'éther, Crack The Skye débarque et change radicalement de point de vue. Le sludge des débuts est remplacé par un metal progressif et psychédélique qui colle finalement à merveille avec la thématique du disque. Considéré par certains fans comme leur meilleur, il marquera une vraie rupture avec les disques d'avant et ceux d'après. Même si les intentions prog étaient déjà visibles auparavant, Mastodon est allé au bout de ses idées avec ce disque. Une réussite amenant son lot d'attente pour son successeur.

Se pose maintenant une question simple : Comment enchaîner après un chef d'œuvre ?

Il est évident que Mastodon n'est plus un groupe underground après le tour de force de cette quadrilogie. C'est une valeur montante mais de plus en plus sûre auprès des connaisseurs. Il existe donc deux solutions, à mon sens, pour suivre une telle lignée : essayer de refaire la même chose en mieux ou bien prendre le contre pied.

Quand en juillet 2011 sort Black Tongue, le premier single, une chose est certaine : le quatuor n'est pas parti pour un Crack The Skye 2. Trois minutes et trente secondes d'un metal direct, punchy avec un riff qui tabasse, une ligne vocale puissante de Troy Sanders et un Brann Dailor toujours aussi épileptique derrière sa batterie. C'est tout droit, c'est d'une efficacité à toute épreuve et c'est un des meilleurs titres sortis par le groupe. À noter aussi le clip mettant en scène la fabrication de la créature servant de pochette. Sad Demon Oath est une sculpture en bois de l'artiste AJ Fosik et c'est la première fois que Mastodon n'utilise pas les travaux de Paul Romano comme artwork.

Une musique directe certes mais dont la production reste propre, loin des canons entendus sur Blood Mountain ou Leviathan. Une tendance qui sera suivie par le second single : Curl Of The Burl. Titre où l'on retrouve les trois chanteurs actifs du groupe à savoir Troy Sanders, Brent Hinds et le petit dernier Brann Dailor qui s'est fait entendre pour la première fois sur Crack The Skye et qui prendra de plus en plus d'importance au niveau des voix. Une chanson accompagnée d'un clip assez barré, une récurrence dans la carrière du quatuor qui n'hésite pas à pousser les curseurs du "what the fuck" assez loin. Enfin, Spectrelight termine de teaser ce 5e opus. Un titre brutal accompagné d'un pont chanté par le fidèle collaborateur du groupe, Scott Kelly, qui officie en temps normal du côté de Neurosis. Ce dernier a participé à chaque album des Géorgiens, à l'exception de Remission, le premier.

Arrive donc le 27 septembre 2011 et la sortie de The Hunter. 13 pistes nous sont proposées pour 53 minutes de musique et il apparaît que Mastodon n'avait pas dévoilé tout son jeu. Oui, ce disque est bien plus direct que Crack The Skye, proposant un contre-pied plutôt habile mais en creusant un peu, on se rend compte qu'il n'est pas si éloigné de la discographie du quatuor. En quatrième position sur la tracklist, Stargasm nous plonge dans un univers se rapprochant de la science-fiction, comme l'explique Brann Dailor.

It’s about having sex in space, or maybe not in space, just great sex where the orgasm brings you into space. When we sing ‘You’re on fire!” I imagine swirling flames around these two people enjoying this sexual experience so good that they end up in outer space. Very Barbarella.

Ce n'est pas la seule incursion "prog" que les Américains nous offrent. On peut aussi citer Creature Lives, composée par Dailor & Sanders et qui sort complètement des canons proposés auparavant. On continue dans le côté B.O de film de S.F en se concentrant plus sur le voyage en lui-même. Enfin, de nombreuses pistes offrent des passages plus excentriques et complexes qu'il n'y parait. Bedazzled Fingernails ou Octopus Has No Friend en sont de beaux exemples.

Il faut cependant s'arrêter sur les deux pistes sortant le plus du lot sur ce disque. En premier lieu, The Hunter, morceau titre et ballade placée en plein milieu de la tracklist, idoine comme respiration. Une chanson qui rend hommage au frère de Brent Hinds, malheureusement décédé lors d'un accident de chasse durant la conception de cet album. Dans un second temps, The Sparrow. Composée d'une seule phrase répétée plusieurs fois, il plane une ambiance mélancolique au long des cinq minutes et trente secondes d'écoute. Mais cela n'est pas laissé au hasard. Cette unique parole, la voici :

Pursue happiness with diligence

À l'origine de celle-ci, la femme du comptable de Mastodon. Cette dernière est tragiquement décédée d'un cancer de l'estomac en 2011. Le quatuor, souhaitant rajouter une piste sur l'album, s'est souvenu de la phrase que répétait tout le temps cette femme qui était : "Pursue happiness diligently". Un discours qui sera légèrement modifié pour coller au rythme du morceau. Mais encore une fois, la thématique de la mort suit de près les quatre musiciens. Il faut savoir que la rémission évoquée en titre de leur premier disque correspond à celle subie par Brann Dailor à propos de la mort de sa petite sœur Skye, Cette dernière s'étant suicidée à l'âge de 14 ans à cause du harcèlement qu'elle subissait à son lycée. Cela explique aussi la "faute" à Crack The Skye, disque qui va être rempli d'hommage à la cadette des Dailor. Si cela ne suffisait pas, la mort ne s'est pas contentée d'en rester là avec le quatuor.

En 2017 sort Emperor of Sand, 7e LP de leur discographie et un retour aux albums concepts. On suit un vagabond du désert condamné à mort jusqu'à sa libération. Des textes forts qui ont puisé leur inspiration dans le quotidien des membres du groupe. L'épouse de Troy Sanders s'est vue diagnostiquée d'un cancer du sein tandis que Bill Kelliher a perdu sa maman d'un cancer du cerveau. Enfin, la mère de Brann Dailor a du lutter avec une chimiothérapie en plus d'être malade depuis plus de 40 ans. Un environnement lourd qui voit en Mastodon une thérapie de groupe parfaite. Et on aura l'occasion d'en avoir une nouvelle preuve quand Husked And Grin sortira. Ce dernier aura une part belle consacrée à Nick John, leur ancien manager tristement décédé. C'est en guise d'hommage que les Géorgiens avaient repris Stairway To Heaven de Led Zeppelin.

Un autre point qui montre l'importance de The Hunter dans la discographie des Américains : le rôle de Brann Dailor. Jusqu'à Crack The Skye, le batteur n'était utilisé qu'en tant que voix additionnelle, en plus de son travail derrière les futs. Depuis CTS, Dailor a rejoint Brent Hinds et Troy Sanders dans les chanteurs avec, sur l'album qui nous intéresse aujourd'hui, la première chanson où il est seul au chant lead : Creature Lives. Il prendra d'ailleurs plus en plus de place à ce poste sur Once More 'Round The Sun puis Emperor Of Sand. Il faut dire que le timbre aigu de Brann permet de contrebalancer les voix plus graves et caverneuses de ses compères, offrant un éventail large de possibilités pour le groupe.

Produit par Mike Elizondo, connu pour son travail avec Eminem, Rihanna ou encore Avenged Sevenfold, The Hunter sortira sur Reprise, filiale de Warner qui suit Mastodon depuis Leviathan, mais aussi sur Roadrunner Records. Une association qui ne durera qu'un seul album, le groupe stoppant sa collaboration avec le label en 2014. Si les critiques reconnaitront le travail du quatuor sur ce disque, les fans seront mitigés. Certains reprocheront un changement trop radical par rapport à Crack The Skye, d'autres regretteront la disparition du côté sec des premières galettes. Suite aux derniers travaux du combo, The Hunter verra sa cote de popularité grimper en flèche : les gens trouvant enfin les qualités enfouies derrière une première écoute pouvant paraître surprenante.

Alors que le public pouvait s'attendre à la chute du Mastodon suite à une quadrilogie quasi parfaite, les Géorgiens ont répondu de la meilleure des manières. The Hunter est aride au premier abord, mais en creusant la surface on découvre un amas de joyeusetés qui permettent d'apprécier chaque piste au gré des écoutes. Finalement, à la question "Comment enchaîner après un chef-d'œuvre ?", les Géorgiens ont donné la meilleure des réponses à savoir, en sortir un nouveau. Bon anniversaire et merci beaucoup.

DéfouloirIndice sur l'envie de se défouler que l'on ressent en écoutant l'album. 1/5 : album plutôt tranquille, reposant et serein. 5/5 : album rempli d'énergie on a envie de sauter partout et de rentrer dans le moshpit
RiffingIndice de la qualité technique. 1/5 : Bof bof, même votre petit frère ferait mieux. 5/5 : Ok Steve Vai, on te laisse faire
PsychédélismeIndice sur le côté psyché de l'album. 1/5 : On est dans le concret, le dur. 5/5 : vous voyez des couleurs défiler devant vos yeux et la musique vous propose un voyage initiatique en vous-même
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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