TesseracT - Altered State

La clarté d'une nuit

22 Mars 2011. Ensembles, Acle Kahney (guitare), James Monteith (guitare), Amos Williams (basse), Jay Postones (batterie) et Daniel (Dan) Tompkins (voix) forment TesseracT. Ces cinq Anglais viennent de sortir leur premier album, One, qui va participer à définir les contours du "djent", sous-genre de metal progressif, avec Periphery II de Periphery. Avec son palm-mute caractéristique, ses rythmiques complexes, ses guitares sous-accordées et ses leads lorgnant vers l'aigu, l’album respire le djent, notamment grâce à un son aisément reconnaissable. En plus, la performance de Dan au chant est remarquable, le vocaliste ayant un registre étendu, du growl et du scream ravageur aux cleans suraigus. Derrière, de nombreux groupes vont leur emboîter le pas, suivant d’assez près cette formule à l’efficacité redoutable et ainsi lancer un mouvement qui va énormément marquer la scène underground puis impacter durablement le metal en général. Il n’y a qu’à prendre en exemples tous les groupes de metalcore ayant adopté le palm-mute et complexifiant de plus en plus leurs compositions.

Avec ce genre de description, on pourrait penser que One est le genre d'album qui peut lancer la carrière d'un groupe. Pourtant, à l'automne 2011, quelques mois après sa sortie, le chanteur Daniel Tompkins quitte TesseracT pour se consacrer à d'autres groupes et projets. Et malgré ce changement loin d'être anodin, Dan étant un des marqueurs du groupe, la formation continue et le remplace au pied levé par Elliot Coleman. Après quelques mois et un EP acoustique (Perspective), Elliot quitte lui aussi le collectif de manière amicale. Nous sommes désormais en juin 2012, et TesseracT va devoir trouver un troisième chanteur en un an. Pour un groupe où la voix joue un rôle plutôt important, cela peut casser une dynamique prometteuse, d'autant plus qu'Elliot a commencé à enregistrer des demos pour un futur album.

Mais surprenamment, un nouveau vocaliste fait son apparition en la personne d'Ashe O'Hara, dont on va rapidement découvrir le talent avec le titre Nocturne. On ne le sait pas encore au moment de sa sortie, mais le morceau sera inclus dans le second album des Anglais, Altered State. Pour les aficionados du djent, la suite de One est attendue, ce dernier étant devenu une référence notamment grâce à la suite Concealing Fate, extraite d'un de leurs précédents EP. Le nouvel album est annoncé pour la fin mai 2013, avec plusieurs teasers qui vont titiller notre curiosité, en particulier le troisième, qui comporte un instrument inattendu.

On retrouve les ingrédients de la recette miracle, on découvre un peu plus Ashe et on sent une évolution dans la production. Avec une grosse dizaine de minutes disponible à l'écoute pour un album qui va en durer cinquante, l’impatience se fait sentir, surtout vu la qualité des extraits. On y découvre la minimaliste et bichrome mais efficace pochette créée par Ion Lucin, à l'aspect géométrique indéniable. On y décèle une simplicité qui ne tiendrait que de l'apparence, faisant sens avec la musique des Anglais. Que vaut donc celle-ci ?

Matière

Déjà, les noms des morceaux annoncent un concept, les dix titres étant répartis sur quatre parties, chacune faisant suite au nom de l'album :

  • (Altered State) Of Matter
  • (Altered State) Of Mind
  • (Altered State) Of Reality
  • (Altered State) Of Energy

L'aspect progressif que peut sous-entendre le concept se vérifie dès le début de l'album, les trois chansons composant la suite Of Matter n'en étant qu'un seul approchant le quart d'heure. Avec Of Matter : Proxy, le quintet nous introduit sobrement et doucement à l'album. On débute avec des lead lancinantes, avant que la section rythmique ne débarque avec un groove syncopé aussi efficace que subtil dans son pattern déroutant. On commence à entrevoir le travail sur les voix d’Ashe et leurs harmonies, donnant une nouvelle dimension au quintette. Plus tard sur le titre, pendant le pont, on remarque une des autres évolutions du groupe : la basse est bien plus en avant que d’habitude, se démarquant sans pour autant cacher le travail des deux guitaristes. Plus discrètement, des nappes de pads se glissent ça et là afin de mieux faire ressortir l’ambiance des titres. Il ressortira d’Altered State, malgré des passages très lourds ou propices au brisage de nuques, une impression de calme à la propreté surprenante pour un album de djent.

Cet ensemble d’éléments peut servir à décrire globalement cet album. On pourrait alors se dire que le disque va être long, si son premier morceau résume à lui seul les 50 minutes de sa durée. C’est en effet un des reproches qui peut lui être adressé. Sauf qu’on n’a pas évoqué comment TesseracT les a utilisés avec une maestria forçant le respect et l’admiration. Car quelque chose peut bien être un poil répétitif, si c’est un bonheur de le voir revenir à chaque fois, alors cela n’a pas d’importance.

Esprit

En premier lieu, il faut féliciter l'élément le plus mémorable, à savoir par la voix d’Ashe. Le nouveau membre chante en clair sur tout l’album, ne passant jamais à un registre en growl ou en scream. Cela pourrait être un regret, comme certains le commentaient en 2013, désirant retrouver la rage des parties vocales de Dan sur One. Maintenant, allez écouter Of Mind - Exile : à la fin du titre, tous ces sentiments seront partis face à la sublime performance du chanteur. Encore plus haut perché que ses prédécesseurs, Ashe est tout bonnement incroyable sur Altered State, avec un travail des harmonies absolument époustouflant. Accompagné par les lead des guitares, il instille des émotions la plupart du temps poignantes voire même bouleversantes (Of Matter - Resist). Pour peu que vous accrochiez à l’album, vous vous retrouverez vite à chanter les paroles de ses morceaux, malgré un degré de difficulté élevé, le vocaliste faisant preuve d’une maîtrise bluffante de son organe.

En parlant de maîtrise, que dire de son compère Amos Williams, dont le travail est dévoilé au grand jour sur cet album. Le bassiste et son instrument se sont retrouvés aux avant-postes du son TesseracT à partir de cette instance, participant à la patte sonore du groupe depuis. Ce n’est pas sans raison, le musicien exhibant un talent à faire pâlir de jalousie un grand nombre de bassistes. Et sur Altered State, sa prédominance dans le mix nous permet de pleinement l’apprécier, Amos se retrouvant sur certains ponts avec le rôle de soliste (Of Mind - Exile). Dans d’autres parties, il appuie simplement la qualité du groove composé par le groupe, comme dans Of Reality - Palingenesis. Globalement, il peut se permettre des excentricités tout en ne dégradant pas le flow des morceaux. Il reste le socle rythmique que la basse est censée être, mais avec des exubérances marquantes.

À l’inverse, on a le travail des guitares et des pistes d’ambient. Le travail d’Acle Kahney et James Monteith, bien qu’indéniable, n'est pas ce qui est le plus remarquable sur le disque. Pourtant, à travers les riffs bien sentis, les sept-cordes font un travail monumental. Les lead peuvent être un temps subtiles et sensibles sur les sections plus planantes, puis plus tard chargées émotionnellement. On pense notamment aux refrains ou apogées sur certains titres où, malgré des parties impressionnantes, les guitares laissent place à la voix du vocaliste pour faire briller le passage et lui procurer toute la puissance qu’il mérite. Avec les couches d’ambient, encore plus discrètes, les deux musiciens posent des atmosphères qui subliment les performances d’Ashe ou d’Amos. Ce rôle, rarement réservé aux guitares, décuple l’impact de certains passages, où elles auraient amenuisé les sensations que TesseracT voulait susciter si elles avaient été trop imposantes .

Une preuve supplémentaire de l’impact et de la force des compositions parcourant cette œuvre essentielle est sa version instrumentale. Elle permet de pleinement entendre et apprécier le travail des instruments et prendra votre attention des premières notes de guitares jusqu’aux dernières.

Réalité

Maintenant, il faut évoquer un aspect primordial et loué de l'œuvre : sa production et son mixage. On peut pour ça remercier le guitariste Acle Kahney, aux manettes depuis le départ et qui n'a jamais cessé d'épater les auditeurs sur chaque sortie de TesseracT. Le son des instruments est d'une propreté impressionnante, sans aspérité, presque cristallin. Les guitares sont bien mises en avant sans pour autant empiéter sur le superbe jeu de basse d'Amos, qui reste audible à tout moment. La voix d'Ashe et ses chœurs sont quant à eux d'une clarté remarquable, nous laissant la possibilité de pleinement apprécier ses performances si on le souhaite. La batterie est souvent citée comme superbe, notamment sa caisse claire, à l'impact certain sans qu'il ne mange le spectre sonore pour autant. Il en est de même pour les cymbales qui n’étouffent jamais le reste des instruments. Je n’ai même pas pris le temps d’évoquer le travail de Jay Postones alors qu’en tant que base rythmique, son travail est époustouflant derrière les fûts, à l’aide de ghost notes et polyrythmes complexes à tenir.

Énergie

Au final, qu’est ce que cet ensemble, dont je viens de chanter les louanges, propose ? On peut qualifier Altered State de djent, ce qualificatif galvaudé pouvant lui être apposé. Mais je vois en lui une évolution à partir de la base du genre : contrairement à la majorité des œuvres s’en revendiquant, cet album exsude la sérénité. On trouvera bien évidemment des passages lourds, mais on ne peut jamais vraiment parler de violence en parlant d’Altered State. Ce n'est pas un album qui vous donnera envie de pogoter. Même dans les moments plus tourmentés du disque, on ressent un calme inhérent, presque inné en son sein. Of Reality - Calabi-Yau en est une des sections symptomatiques, où au milieu d’un passage rythmique proche du breakdown et d’un solo de saxophone extraordinairement jouissif se dégage un apaisement, une sérénité presque déroutante par sa dichotomie avec ce que joue le groupe. Ce calme débute et conclut le disque, ne le quittant jamais totalement. L’aspect nocturne de cette création mérite également une mention, Altered State se prêtant allègrement à une écoute sous la lune, son atmosphère s’adaptant bien avec une contemplation stellaire.

En se détachant de cette violence que j’estime intrinsèque au djent, TesseracT est allé au-delà du sous-genre en renforçant sa composante progressive. Les voix saturées ont disparu et la distortion des instruments est bien moins importante. Si les riffs typiques sont toujours présents, l’atmosphère prime avant tout, avec les nappes de synthés, les chœurs et les guitares planantes présents tout au long d’Altered State. Il en ressort un album étonnamment intimiste dont les moments forts sont surtout ses climax émotionnels. Les performances des musiciens ont beau être impressionnantes, à la fin ce qu’on retiendra ce sont tous les sentiments irrépressibles que le groupe aura fait remonter en nous. Car - je l'espère - vous retiendrez cet album. En même temps, vous ne pourrez que difficilement échapper à l'attraction de ce joyau qui altèrera tous vos états.

ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

Altered State Album
Tesseract
"Altered State"