A.A. Williams - As The Moon Rests

Une ode sélène

Halloween est passé, l’automne s’enfonce et les températures aussi. Le changement d’heure assombrit nos soirées plus vite encore que le déclin des journées. La saison froide approche et le besoin de trouver du réconfort sous une couette ou dans un chocolat chaud se fait de plus en plus urgent. Tout ceci est bon pour le corps, mais qu'en est-il de l'esprit ? Le ralentissement des interactions sociales en ces mornes mois raréfie les voix qui nous entourent au moment où on en aurait le plus besoin. C’est ainsi que les playlists estivales se retrouvent à tirer leur révérence pour céder la place aux ambiances feutrées et aux tonalités apaisantes.

Quand le roux des arbres se libère pour tendre vers la grisaille de leurs branches, il y a une artiste qui revient régulièrement hanter mes oreilles de sa voix suave. Véritable main tendue pour surmonter la solitude des années covid avec un EP éponyme, son premier album Forever Blue et ses poignantes Songs From Isolation, A.A. Williams est vite devenue une aide précieuse quand chutent le moral et le mercure. Comme une trace abstraite dans de premières neiges urbaines, l’an passé paraissait son second album dans son écrin gris et blanc : As The Moon Rests.

Cette fois pourtant, le temps des ambiances introspectives semblait passé. La musique de la Britannique prend désormais plus d’ampleur et d’assise. Après avoir gravité dans les sphères post au fil des collaborations avec des formations comme MONO, The Jo Quail Quartet ou Cult of Luna, la compositrice a l'air de vouloir passer à l’étape supérieure : partir en tête d’affiche de sa propre tournée.

Sorti dans le retour des brumes matinales, Evaporate, le premier single, annonce un virage empreint de rock alternatif. Le piano et les grandes orchestrations trouvent toujours leur place mais ce sont maintenant les cordes qui mènent la danse sur les différents morceaux. L’ambiance gothique à la Placebo est au rendez-vous et les guitares saturées viennent poser les piliers d’une cathédrale entièrement dévouée à mettre en lumière la voix d’A.A. Williams.

C’est cette sensation de contempler un immense édifice finement sculpté qui trône sur le premier quart de l’album. Dès les premières notes de Hollow Heart, guitare, basse, batterie, orgue et envolées lyriques vous accueillent sur le parvis d’As The Moon Rests. Un ensemble épique bientôt rejoint par des violons et un piano mis en place pour dépeindre les splendides enluminures qui orneront tout l’album. Le chant de la prêtresse, habituellement plutôt en retenue, se permet même d’aller côtoyer les sommets sur le climax de Murmurs.

Néanmoins, certains titres conservent leurs filiations avec les précédents travaux de A.A. Williams. Sur Pristine, les guitares, de nouveau en retrait, permettent à l’orchestre de cordes frottées de porter tout en grâce le morceau. Bâtie sur une lente ascension, la chanson prend ses marques sur un ton mélancolique hanté par l’hésitation. Bien que suave et presque chuchoté, le chant de Williams est de velours et déjà empli de toute sa force évocatrice. Un long et délicat pont vient ensuite vous aider à traverser le froid d’une sombre nuit pluvieuse, avant que l’explosion des violons ne vienne déclarer l’aube. L’aurore pâle et resplendissante vient illuminer le ciel, accompagné de la voix de la chanteuse. Toujours contenue pour ne pas voler la vedette aux cordes frottées, son attraction magnétique fait que, même sans effuser, elle en absorbe quand même toute la lumière.

Après un tendre moment de flottement, un épais voile sombre s’abat soudainement sur le disque. La lumière disparaît et vous voilà transporté sur une barque frêle au milieu d’un marécage à la surface aussi noire que lisse. La mince embarcation vous transporte sous les branchements d’arbres effeuillés par la froideur de l’hiver. La faible lueur d’une lanterne posée à la proue ne suffit pas à dévoiler la nature de votre destination mais ce qui est sûr, c’est que le fracas provoqué par la terrible basse à 3:25 crée un ressac qui manque de faire chavirer votre vaisseau en ces lieux sinistres. For Nothing plonge le disque dans l’obscurité et l'engloutit dans un final post-metal créant une réelle fracture à la moitié de l’album.

Et malheureusement c’est peut-être ici que l’album va trouver son principal écueil. Car passé ce morceau, le disque peine à se renouveler. Les derniers titres ne sont en aucun cas moins bons que les premiers mais souffrent de la proximité avec ce qui a été entendu plus tôt. L’intitulé de The Echo devient tristement ironique si on le compare à Pristine. On ne boudera pas notre plaisir d’avoir deux titres d’une telle qualité sur l’album, mais force est de constater qu’ils sont musicalement tout à fait interchangeables. Que l’album soit monolithique n’est pas un problème en soi, mais c’est un penchant qui risque d’être scruté sur les prochaines sorties.

Auparavant timide satellite de sombres étoiles à la gravité écrasante, A.A. Williams est parvenue à sortir de son orbite pour éclipser le ciel d’autres horizons. Ce troisième album est un sublime édifice de marbre blanc créant de larges ombres sur les vestiges des rayons solaires et resplendissant sous la pâleur sélène. Paru quelques jours à peine après l'équinoxe d’automne, As The Moon Rests est la parfaite chapelle où trouver le repos quand la lune redevient l’astre régent.

DélicatesseIndice de la douceur de l'album. 1/5 : l'album est assez sec. 5/5 : l'album est un champ de coton
Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
TempératureIndice du mood général de l'album : 1/5 = froid, musique globalement maussade, négative, voire violente 5/5 = chaud, musique très joyeuse voire festive
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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A. A. Williams - As The Moon Rests
A.A. Williams
"As The Moon Rests"