Fin 2022, Bruit ≤ entame le dernier segment de leur tournée servant à promouvoir leur album The Machine Is Burning And Know Everyone Knows It Could Happen Again. En grande conquise de ce disque, l'équipe de Soundbather se retrouva à plusieurs dates tout au long de l'année, et a pu constater avec plaisir toute l'ampleur que prend leur musique en concert, en faisant définitivement un groupe à suivre et surtout à vivre. Il n'en fallait pas plus qu'une sortie surprise d'un single pour nous donner l'envie de nous entretenir à nouveau avec Theophile et Clément afin de dresser le bilan de 2022, ainsi que d'échanger à propos de leur nouveau titre et une partie du fonctionnement de l'industrie musicale.
Soundbather : Bonjour messieurs et merci d’être présents ce soir pour discuter de tout ce dont j’ai envie de vous parler. Est-ce que vous allez bien ?
Theophile : Bien !
Clément : Ça va bien, et toi-même ?
S : Ça va bien merci ! Très content d’être avec vous ce soir. Le premier point que j’avais envie d’aborder, c’est votre année 2022 qui a été très chargée, déjà avec une tournée olympique qui, je l’espère, s'est bien passée dans votre ressenti.
C : Et bien oui, très très bien. Olympique c’est marrant comme mot pour décrire une tournée, mais en tout cas ça a été intense ! On ne s’attendait pas à ce qu’elle soit aussi riche, longue, avec autant de rebondissements. Ça a été un peu ce genre de tournée à tiroirs, c’est comme ça que ça se passe quand ça se déroule bien. Tu pars pour 20 dates puis on t’en remets 20 puis 15... Et tu es content d’aller jouer en Angleterre car c’est à l’étranger et puis en fait tu te retrouves à aller jusqu’en Norvège. Ça a été très surprenant, un gros tremplin et un ascenseur émotionnel. Très enrichissant individuellement en tant que musicien. Comment cette musique-là peut survivre au nombre des concerts, comment tu arrives à te renouveler dans ton intention de jeu, à garder de l'intérêt pour un morceau après 50 fois où tu le joues, c’est pas toujours un truc évident. Et puis, voir le public qui s'agrandit, les gens qui reviennent aux concerts, les salles qui se remplissent de plus en plus. On a senti vraiment une progression tout au long de l’année. Aussi car on a commencé cette tournée au moment où le Covid s'arrêtait donc les gens étaient un peu frileux pour aller en salle de concert. Et petit à petit, il y avait de plus en plus de monde. Alors tu sais pas si c’est pas parce qu’on s’est fait un nom dans la scène ou si c’est les gens qui prennent l’habitude d’aller en concert, en tout cas c’était une jolie courbe ascendante. Aussi bien dans notre manière de jouer, que par rapport aux salles ou la réception du public.
T : Carrément, j'ai adoré cette tournée ! On a eu d'autres projets, on a fait des fois des plans de tournées pour cachetonner… Là, c’est vraiment celle que j’ai le plus aimé dans ma petite carrière pour l’instant. On peut vraiment dire qu’on était plus jeunes quand on a commencé que quand on a terminé (rires) ! Tu vois ça a été assez intense, comme disait Clément, on est parti en se préparant psychologiquement pour 20 dates et puis au final y’en a eu plus du double. Une année bien remplie, une sorte de long tunnel dont j’ai l’impression d’enfin ressortir. Ça nous a permis de croiser des groupes qu’on admire beaucoup, on a pu voir des tas de concerts alors que pendant deux ans de pandémie, c’était vraiment le désert… Je me souviens qu'en 2022, après les confinements, y’avait plein de gens qui se trompaient d’année, on avait l’impression qu’elles étaient pas vraiment passées. Là, c’est l’inverse, j’ai l’impression que cette année elle est passée vite mais il s’est passé autant de choses qu’en trois années et ça c’est chouette !
C : Oui comme disait Théo, dans ma vie de tous les jours, je fais pas mal de route comme musicien de tournée pour Bigflo & Oli, quand on est en festival avec eux, tu vois, on fait Les Vieilles Charrues et tout ça, mais on joue les même soirs que Angèle ou Lomepal ou des trucs comme ça… Là le fait de jouer le même soir que Anna von Hausswolff, ça fait aussi que dès que tu sors de scène, tu te précipites pour aller dans la salle de concert pour prendre ta beigne. Et c’est trop enrichissant ! J’ai jamais vu autant de bons concerts de ma vie que cette année, clairement.
T : Ouais, c’est clair. et puis y’a un truc aussi très personnel avec Bruit ≤ qui est un peu notre bébé, qu’on a monté avec Clément. J’ai déjà fait des tournées où dans ta vie, tu passes ton année à avoir ta vie perso, la tournée t'occupe comme un boulot, très cloisonné. Tu rentres à la maison, tu fermes la porte, et ton travail est parti. Là cette année, j’ai vraiment eu l’impression que c’était pas un boulot, c’était un loisir, un projet plus perso, c’était en même temps ce qui nous faisait vivre… C’était mélangé. Autant comme musicien qu'humain, ça nous a fait passer des steps et vivre des trucs.
S : Super bilan ! Clément tu l’as déjà évoqué, en citant le fait d’avoir joué 50 fois les morceaux, je voulais aussi savoir, après une année, quel est votre regard sur The Machine Is Burning, après la réception de l’album qui s’est faite pendant le COVID. Comment il a évolué dans votre vie, de par le retour avec les gens, ou juste le fait de le jouer sur scène.
C : Bah tu sais, quand tu fais de la musique, tu as toujours des sortes de vagues d’appréciation ou pas de ce que tu fais. En général, quand tu as la première impulsion, tu commences un morceau, tu trouves ça génial, t’es dans le haut de la vague. Et puis genre deux jours plus tard, t’es dans un creux où, en général, la moitié des morceaux ne survivent pas. Tu trouves que c’est de la merde car tu es lassé par l’idée, ou tu ne te surprends pas toi-même… Et donc globalement, tu re-travailles, tu reprends un peu de hauteur. Puis ça se ré-effondre au moment du mix, puis tu fais plusieurs mixes et ça se ré-éffondre au moment du master… et puis il y a le creux de la vague très très long qui est avant que l’album sorte. Petit à petit, les vagues sont de plus en plus longues et donc il y a eu un battement très très long où moi je pouvais plus écouter l’album, et au moment de le monter pour la scène pareil, j’y arrivais plus.
T : J’avais envie de le jeter (rires).
C : Et en fait, le fait de le confronter à un public, de se le réapproprier et le jouer tous les soirs, de l’interpréter un peu différemment que dans l’album, où on essaye de le challenger, et où on a le retour de l’énergie du public… Bah ça te refait aimer les choses, car au final, à chaque fois qu’on le joue, c'est une mise à jour à chaque fois. C’est la version 2022 tu vois !
Je crois que j’ai le même rapport avec le premier EP. Quand on joue les morceaux et qu’il y a un retour du public, il y a un sens qui se crée, et tu reviens d’un coup sur le haut de la vague. Et au bout d’une dizaine de concerts, ils ont été assez joués pour que ça devienne une seconde nature, pour que tu puisses trouver une sorte de liberté dedans. Tu peux exprimer le feeling d’un moment que tu es en train de passer là avec ces gens là dans cette salle et ce son-là.
Et c’est à ce moment là que c’est vraiment kiffant quoi !
Tu vois, l’album, je l’assume et je l'assumerai longtemps je pense, aussi bien que j'assumerai longtemps l’EP. Car on est allé au bout des idées qu’on pouvait faire à cette époque-là, et c’est toujours un grand plaisir de le jouer sur scène. Et quand on voit le retour de certaines personnes, pour qui notre musique prend une importance dans la vie, c’est juste ultra touchant !
S : Là ou je vous rejoins, c’est qu’on vous a vus à plusieurs reprises dans l’année avec l’équipe, et qu’on a senti ces petits changements d’interprétations de certains morceaux, comme le retour des orgues sur The Machine Is Burning !
Le deuxième point que je voulais aborder avec vous, c’est la sortie surprise de fin d’année sur la dernière partie de votre tournée de votre single The Parasite (The Boycott Manifesto). Ce que je trouve intéressant dans ce titre, c’est que ça sonne toujours vous mais avec encore une nouvelle direction, pour faire écho à notre première interview avec Théo, où tu nous parlais de votre processus de composition qui était de placer un direction artistique avec les objectifs et de la courbe d’intensité que vous vouliez… Du coup pour ce morceau je me suis demandé quel a été le fil rouge créatif autour de ce morceau ?
T : Alors là du coup c’est très différent, c’est un peu l’exception, vu que le but c’était de passer un message et qu’on a commencé par le texte, pour une fois on ne s’est pas dit l'intention ce sera ça ou ça en terme de schéma sonore. Donc on a plutôt construit autour du texte. C’est un truc qu’on n'avait jamais fait, on ne savait pas ce que ça allait donner. On l’a fait une fois comme ça, je ne sais pas si on arriverait à le faire encore, c’est vraiment un truc qu’on a fait pour habiller le texte.
C : Au tout départ, la première idée c’était le texte avec un morceau ambient derrière. Et puis c’est la voix de Ben Nero (Membre d'Ez3kiel), l’intention, et le mot “parasite” qui m’a fait tiquer, et qui m’a fait me dire que ce serait trop bien de faire une sorte de vandalisme musical. Genre tu fais un truc où tu travailles vraiment sur le parasitage dans tous les sens du terme. Nous qui parasitons la plateforme, et dire qu’ils parasitent l’industrie de la musique, parasiter le son en usant de pas mal de glitchs. Et puis essayer de choquer les gens avec le fait d’avoir pour la première fois dans notre discographie si je puis dire, un mur de son qui est net. On n'est pas trop dans un truc progressif comme d’habitude, mais plus un truc où on envoie un pavé dans la mare.
Je pense que ça exprime bien l'aspect vandalisme du morceau, et puis les traitements de la batterie ou du son qui est beaucoup moins naturel que d’habitude. Comme si notre son de groupe, qui est d’habitude plutôt organique, est comme crypté. En gros c’était ça la DA ! Après y’a eu plein d’autres idées qui se sont ajoutées petit à petit.
Je ne voulais pas que ce soit un morceau satisfaisant à écouter, je voulais qu’il choque un peu et qu’il laisse aussi sur sa faim, pour donner aussi au gens l’envie d’aller écouter nos vrais albums sur Bandcamp par exemple.
S : Et du coup comment s’est passée la collaboration avec Ben Nero, est ce que c’est lui qui a écrit le texte entièrement ? Ou vous lui avez donné le texte ? En lui permettant des modifications ?
T : On lui a donné en français je crois, et il l’a traduit si je m’en souviens.
C : C’est toi qui l’a écrit majoritairement Théo, j’ai rajouté des petites choses, et puis c'est toujours pareil, au moment de la prod tu coupes des petites choses pour que ça rentre mieux.
T : C’était pratique parce que c’était un exercice qu’on avait l’habitude de faire sur les morceaux précédents avec les samples de voix. Donc là on se retrouvait avec un sample, sauf qu’on l’avait écrit nous. Mais il y'a un tout un truc de collage que tu dois faire une fois que tu as le son, tu te dis “bon le texte on l’aime bien comme ça”, et au moment où tu essayes de le faire imbriquer avec le son tu réalises qu’il y a des choses qui vont bloquer, qu’il va falloir redécouper. Ça a été le casse-tête de Clément de faire rentrer ça. Et puis, le sens du texte en lui-même, il y a des choses après coup qu’on a voulu retoucher, qu’on a coupé de la prise de voix définitive.
C : Et puis à un moment donné il y avait trop de texte. Donc il a fallu en retirer.
T : Sur le sujet en lui même, Ben était totalement en accord avec ce que l’on pense, il était super chaud. Et quand on s’est retrouvé avec eux (EZ3kiel) sur quelques dates, il a tellement une voix incroyable qu’on a directement pensé à lui au moment où on a écrit le texte.
S : Et en parlant du texte, c’est un morceau à message, un appel au boycott et l’émancipation de la machine de l’industrie musicale. Je trouve que cela engendre plein de questions, tant du côté des auditeurs que des créateurs. je voulais savoir si avec votre expérience vous avez déjà des idées d’alternatives à mettre en lumière par rapport à la machine des plateformes de streaming et la consommation de la musique ?
Vous parlez déjà de Bandcamp ou aller aux concerts, mais est-ce que vous avez en plus des idées de réflexions ou suivez des réflexions d’autres personnes pour aller encore plus profondément vers une alternative pour mieux rémunérer les artistes etc ?
T : Non pas spécialement, sur ce morceau le message c’est vraiment le boycott. Mais après, on suit un syndicat américain qui se penche sur des propositions. Une député là-bas a fait un truc pour faire en sorte que le streaming rapporte mieux sur le droit d’auteur. Mais c’est un vaste sujet, nous on est le tout petit maillon d’une énorme industrie, et juste à la base, le fait que les actionnaires majoritaires soient les majors, ça pose problème.
Parce que la diffusion c’est probablement le futur et que l'on ne pourra pas y couper, moi je rêve d’une plate-forme qui appartienne aux artistes, ou soit au moins détenue par des labels indés, qu’il y ait une répartition équitable, pas juste basée sur un modèle en pyramide avec un soi-disant ruissellement et qu'à la fin il reste des broutilles par stream, et que t’es sensé être content… ça marche pas quoi !
C : On est très loin d’un truc qui est satisfaisant. Après dans les améliorations qui sont possibles dans le futur proche, il y a le fait de passer sur le "User Centric", ça serait déjà pas mal, une première vraie avancée… mais tout le problème avec les GAFAM et toutes ces choses-là, c’est que t’es sur du droit international. Rien qu'en regardant les droits d’auteurs, entre la manière de les gérer en Espagne, en Belgique et en France, c’est trois façons différentes. Donc comment tu veux que les mecs dans la Silicon Valley s’alignent sur les rémunérations françaises, qui font partie des meilleures redistributions de droits d’auteurs qu’on ait dans le monde ! On a un système avec la SACEM qui fonctionne très bien et qui permet aux créateurs qui ont du succès de pouvoir vivre de leurs œuvres. Ce qui n'est pas le cas aux States, où si tu n’es pas dans les charts, tu génères que dalle. C’est le truc poussé à outrance. Je crois que c’est un peu pareil en Angleterre… Donc déjà de base, le traitement des droits d’auteurs n'est pas lissé à l'international, du coup les GAFAM se servent de ça pour imposer une rémunération risible. mais déjà s’il y avait le "User Centric", ça pourrait lisser un petit peu, et faire en sorte que ce ne soit pas que la musique qu’écoutent les gamins qui génère du pognon, parce que ça c’est un grand danger pour l’avenir de la musique parce que tu nivelles tout par le bas…
J'en parle, mais ça a du sens le "User Centric", tu comprends ce que c’est ou pas ?
S : C’est centré sur l’utilisateur, donc c’est ton public qui te rémunère car il te donne une écoute, c’est grosso modo ça ?
C : Ouais en gros le "User Centric" c’est l’argent de ton abonnement qui va aux artistes que tu écoutes. Ce qui n'est pas le cas aujourd’hui, il faut bien le comprendre. Ce qui génère le plus de pognon actuellement sur les plateformes, ce sont les artistes qui ont beaucoup beaucoup beaucoup d'écoutes en nombre de streams, et pas ceux qui ont beaucoup de public. En gros, il vaut mieux avoir 1000 personnes qui t'écoutent chacun 100 fois que 20 000 personnes qui t'écoutent une fois. Et le scoop, bah c’est que t’écoutes 100 fois un morceau quand tu as 16 ans car tu consommes la musique de manière compulsive, en boucle. Alors que quand t’es adulte, tu achètes un album, tu l’écoutes 3-4 fois, et tu passes à autre chose, t’as fait le tour du truc où juste tu vas chercher autre chose. Et pourtant, dans le système de vente de disque, l’ado qui achète son disque et l’écoute 100 fois et l’adulte qui achète son disque et l’écoute 3 fois, ils achètent tout les deux un album, y’a pas de raison que l’adulte paye pour l’album que l’ado a acheté parce que le gamin l’a écouté 100 fois.
En tout cas, y’a pas mal de plateformes qui essayent de passer au "User Centric", pour que les rémunérations soient un peu supérieures pour certains artistes, qui ne sont pas des artistes qui sont écoutés. Nous, typiquement, si on était sur Spotify ou Deezer, le mec qui écoute 100 fois The Machine Is Burning…
T : Il a un problème (rires) !
C : Ouais (rires), il faut qu’il aille consulter, probablement ! Et puis il n’y a que des morceaux longs. Tu regardes les rappeurs aujourd’hui aux US, ils font tous des morceaux de 2min15, qui te frustrent à la fin pour que tu aies envie de le relancer, qu’il ait de la replay value. Ils ont compris le système, ils font de la musique édulcorée pour plaire à tes gamins, et mettent des 2min15 pour que tu relances le titre.
Mais du coup, c’est toi qui paye pour l’abonnement du gamin qui rejoue en boucle le morceau du rappeur, tu vois ce que je veux dire ?
Et ça, c’est concrètement une avancée qui pourrait être faite. Ça n'enlèvera pas que la part reversée aux artistes est minuscule, mais ça, c'est un bras de fer et je ne sais pas comment faire pour le contrer.
T : Le problème qu’on a, c’est qu’aujourd’hui, on a des sociétés privées qui pèsent plus lourd que des États, qu'elles peuvent les traîner en justice, et qu’on n'arrive pas à leur faire payer des impôts chez nous. Et visiblement, notre gouvernement, c’est pas vraiment sa priorité non plus. Donc quand y’a un problème de rémunération, ou si on voulait étalonner une façon de faire à une échelle mondiale, ça voudrait dire que les États pourraient faire plier les grands milliardaires et les boîtes comme les GAFAM, et ça c’est clairement pas d’actualité.
La seule chose qui reste pour faire contre-poids, c’est la concurrence des plateforme entre elles, sauf qu’une plateforme, c’est comme un réseau social, ça peut être racheté demain par un milliardaire. Si demain y’en a une qui cartonne et qui fait 2 fois mieux que Spotify, son boss peut très bien juste la racheter, et elle fonctionnera pareil. Donc nous à notre niveau on n'a pas d’autres leviers que le boycott pour le moment. À une époque où les majors faisaient la pluie et le beau temps il y avait quand même des réseaux physiques où les petits labels pouvaient se développer, faire de la distribution à leur échelle. Aujourd'hui, comme tout est digitalisé, celui qui a le monopole peut étouffer les autres complètement. Donc quand quelques artistes signés en major vont rafler la mise de tous les abonnements d’une plateforme, c’est tout simplement ces majors qui vont se servir dans les écoutes générées par les petits labels. C’est du pillage, et c’est comme ça que les grosses maisons de disques peuvent se servir dans les plus petits concurrents. Y’a plus ce rapport de force qui était un petit peu existant entre les majors et les indés à l’époque du physique.
C : Après tu vois, c’est un appel au boycott qu’on fait, et il suffirait que pleins d’autres gros artistes commencent à partir des plateformes pour que les mecs soient forcés de bouger. On a tout à fait le pouvoir de faire changer les choses, on ne sait juste pas s’organiser. On est tous un peu chacun de notre côté. Eux par contre ils sont super bien organisés, t'inquiète même pas, ils font des réunions entre eux et tout ça, ils gèrent bien le truc, ils ont tout cloisonné… Il suffit que t’aies la moitié des artistes au top des charts qui boycottent et retirent leur catalogue et ils se retrouvent comme des cons.
Tout comme je crois au système du circuit court, je crois à la même chose pour la musique, et j’espère qu’il y a une culture qui va se développer dans ce sens là. De connaître ta scène locale, d’aller soutenir les groupes en concert, d’acheter du merch. Ça existait avant, ça existe toujours, ça existera encore après…
Là j’extrapole un peu, mais les réseaux sociaux, internet, les interview, les médias… tout ça c’est pas le monde du réel. Là on se parle, entre humains, mais après en ressortira un article qui sera qu'une représentation de qui je suis réellement. Et même moi là, avec ce que je te dis, j’essaye de te faire passer un message, mais qui est biaisé par ce que je suis en train de te raconter. On fait que créer des sortes de mythes, qui te font croire à des trucs, pour qu'à la fin tu viennes au concert. Mais il n'y a que ça qui est réel en fait, y’a que ce moment où tu es au concert, où on se rencontre vraiment, on fait vibrer des trucs et tu es là dans la salle… et en fait cette rencontre-là, c’est la seule vérité qui est. Le reste c’est un circuit de croyance et de mythes qu’on essaye de manipuler et gérer pour que ça soit beau, élégant et donne l’envie de venir. Moi je crois en ça, à la réalité de la rencontre sur scène, et après tu écoutes notre musique, si y’a moyen que ça finance le prochain album bah c’est cool. Donc ouais y’a des personnes qui le font mieux que d'autres.
S : Par rapport à ce que tu dis, je suis en train de commencer à voir pointer des signes en plus de la part de petits artistes qui sont en train de s’organiser mais individuellement sur comment faire pour palier à cette carence financière du streaming. Je vois de plus en plus d'artistes adopter un modèle proche de ce que l’on voit avec les Youtubeurs avec des systèmes comme Patreon. Les fans proches se retrouvent à devenir des abonnés au groupe, à leur donner un versement mensuel pour que le groupe puisse vivre ou aller dans l’étape d’après dans leur musique comme enregistrer dignement leur futur album indépendamment de ce que veut bien leur verser leur label. Ça pourrait donner un peu plus d’autonomie aux artistes.
C : Ouais mais si tu veux, nous, on dénonce une injustice par rapport à ce système-là, et on n'a pas peur d’en parler parce qu’on s’en fout de ce que pourrait générer ce groupe en termes d’argent. On fait pas ça pour le fric, on ne fait pas ça pour vivre, on a verrouillé des choses autour pour avoir la sécurité de pouvoir être libre dans notre discours. Donc on est pas en train de chercher des alternatives pour remplacer le pognon qu'on ne gagne pas tu vois.
S : Ah oui, je parlais de ça plus comme une observation du monde !
C : Ouais, il faudrait que je me renseigne sur Patreon. Je t’avoue, c’est personnel, mais j’ai un très mauvais a priori sur le fait que maintenant on te fait payer un abonnement à tout et n’importe quoi. Et tu finis par être abonné à plein de trucs, c’est en train de devenir la nouvelle norme. Tu finis avec 8000 abonnements de trucs, tu te rends compte que tu payes 20 € par mois pour des trucs que tu utilises 2 fois par mois…
C’est probablement utile pour des gens et c’est peut être une alternative, mais je pense pas que ce soit une sur laquelle je me redirigerai.
T : Je pense qu’il risque d’y avoir plein d'alternatives différentes. Bandcamp en est une, il y en aura plein d’autres. Après est-ce qu'à un moment ça se renversera ou pas je sais pas… mais je sais que musicalement on a l’habitude qu’il y ait des cycles, des modes, des trucs qui reviennent. Je pense que sur les façons de diffuser de la musique c’est pareil. Il y a déjà eu des moments dans l’histoire de la musique où les gens se sont dit que là tout est devenu trop commercial, il faut revenir sur des choses underground et ça s’est fait. Ce sont des cycles qui vont et qui viennent. Aujourd'hui on ne voit pas d’alternative massive, concrète, se mettre en place, mais je ne serais pas spécialement pessimiste là-dessus. Je suis pas devin, mais je suis pas pessimiste.
C : De tous temps, y’a eu des gens qui ont fait des concerts, et des gens qui sont venus voir les concerts. Voilà. Et je pense qu’il y a que ça qui existe : la rencontre d’un son et d’un public. Et après tu trouves le médium qui te semble le plus cohérent et le plus juste par rapport à ta démarche. C’est ce qu’on essaye de faire nous. L’argent, on fait ce qu’on peut pour que ça ne soit pas un souci, parce qu’en fait, on s’avoue déjà vaincu nous. Moi j’ai pas envie de faire payer un abonnement aux gens qui nous kiffent. Je suis heureux qu’ils viennent nous soutenir en concert, acheter du merch. Je trouve ça super. Mais pas plus que ça.
Demander un abonnement à des gens ça fout aussi une pression quoi, le gars il paye tous les mois, d’un seul coup tu te dis, c’est lui mon patron un peu. Je trouve pas que c’est correct. Y’a un rapport qui ne me plaît pas là-dedans, mais c’est personnel.
S : Ouais, car au final, ça ternit un peu l’indépendance “idéale” d’un projet !
C : Ouais, même si ton public ne te le dit pas comme ça, malgré tout ça crée un rapport de force.
S : C’est vrai que j’avais pas vu ça dans ce sens-là, c’est pertinent !
Donc là, vous avez bouclé l’année, y’a des petits extraits que vous avez laissé transparaître qui semble dire que Bruit ≤ va partir en hibernation nécessaire après toute la tournée pour vous ressourcer ?
C : On ne peut pas vraiment en parler encore. Mais on va prendre un moment de silence sur ce projet pour se concentrer notamment sur l’écriture du second album, mais également d’autres projets dont on ne peut pas encore parler.
S : Pour finir sur des choses plus légères après ces longues et intéressantes discussions, je voudrais savoir quel a été votre meilleur souvenir de la tournée, le plus drôle, le plus intense, le plus important pour vous respectivement…
C : Je pense qu’on a le même…
T : Vas-y on va voir (rires) !
C : Moi je pense que c’était la journée à l’AmpliFest. Porto, grand soleil. Le concert s'est hyper bien passé, on a vu un concert de Anna von Hausswolff incroyable. On a croisé les gars de Godspeed You! Black Emperor avec qui on a pu discuter un petit peu, leur filer un album, leur dire merci d’avoir changé notre manière d'écouter de la musique y’a fort longtemps. On a même terminé la soirée sur un truc absurde. On a ramené dans notre van Peter Broderick à son hôtel, alors que moi je suis fan de ce mec et j’écoute en boucle dans le camion quand on est sur la route, là il était à côté de moi et j’ai pu lui poser plein de questions sur la façon dont il produisait sa musique. C’était une journée un peu irréelle, beaucoup de rencontres de gens qui ont eu pour moi beaucoup d’importance musicalement, un concert incroyable, un accueil vraiment splendide, pour moi le meilleur fest qu’on ai fait.
T : Ouais L’AmpliFest, exceptionnel !
S : Du coup le même pour toi Théo ?
T : Bah c’est vrai que c’était exceptionnel, y’a eu quelques highlights comme ça dans l’année, c’est surtout au niveau des artistes qu’on a rencontrés et qui nous ont influencés. C’était assez dingue… À Porto la veille au soir on a pu voir Sumac ! Je pense que le Roadburn nous a tous un peu marqués aussi…
C : Le concert de Thou dans le skatepark !
T : Moi j’ai adoré en particulier finir à Oslo sous la neige juste avant Noël, c’était un peu la date féérique, on a fini par se faire lourder par un taxi qui était complétement aux fraises dans le mauvais hôtel qui était fermé à 2H du mat, avec 20cm de neige et autour que de la forêt, c’était n’importe quoi. Et c’est encore très frais, donc j’appelle pas ça un souvenir, mais j’en aurai un particulier de ce jour-là dans quelques mois.
C : Et du retour où vous avez cassé la boîte de vitesse !
T : Ouais putain, c’était le train arrière. Comme si tu étais au point mort tout le temps, ça a lâché d’un coup et ciao, en plein Paris, en rade après un Oslo-Paris et on était censé finir la route le lendemain pour Toulouse. Une bonne galère ce retour, ça c’était pas le meilleur souvenir pour le coup !
S : C’était vraiment pour mettre le petit point négatif avant les fêtes de Noël !
T : Il aurait pu nous lâcher entre deux dates, on a eu du bol !
C : On a eu un jour off assez magique aussi en Angleterre, on est allé à un parc naturel, le Peak District au sud de Manchester, il faisait beau, on s’est baladé sur des espèces de cimes de collines, j'avais l’impression d'être dans Highlander ! Et après on s’est trouvé une petite auberge avec un feu de cheminée, on a bu des bières brunes et on a mangé des burgers vegans, c’était assez magique, le petit jour paisible.. parfois les jours off c'est bien aussi, t’es un peu en vacances avec tes potes, et tu te ressources, t’es loin de chez toi, t’as le temps de réfléchir et discuter de la suite, c’est bien aussi !
S : Les bulles de respiration qui font sens !
Bah merci les gars, c’était très chouette, je vous laisse tous les deux un petit mot de la fin si vous voulez.
T : Bah merci beaucoup pour ta curiosité, ton temps et tes questions qui sont toujours intéressantes, c’est un plaisir de discuter avec toi !
C : Ouais ! Et c’était chouette de rencontrer un peu toute l’équipe de Soundbather au fil des concerts !
S : Nous en tant qu’équipe ça a été un plaisir de vous suivre, soutenir, et d’essayer à notre échelle de vous promouvoir !
C : Merci à vous, vous faites partie de l’alternative !
T : C’est clair !
S : Merci, quand vous reprendrez du service on sera là pour vous suivre !
Afin de conclure en beauté cette tournée, Bruit ≤ a collaboré avec Clara Griot sur ce superbe documentaire, qui capture les instants de quatre dates de leur aventure, et d'où proviennent toutes les photographies qui illustrent cette interview. Nous vous laissons déguster cela !