Après plus de trente ans de carrière, qu’est-ce qu’un groupe comme Deftones a encore à prouver ? Les Californiens ont marqué le Nu metal durant les années 90 avec un Around The Fur rageur avant de rebattre les cartes de la scène alternative avec le non moins culte White Pony, véritable chef d’œuvre intemporel ayant influencé une grande partie de la scène depuis sa sortie en juin 2000. L’apport d’éléments Trip hop et d’un côté Pop sensuel, déjà amorcé précédemment par leur titre Be Quiet And Drive (Far Away) trois ans plus tôt y est pour beaucoup.

La suite de leur discographie poursuivra les expérimentations sonores et stylistiques à chacune de leurs sorties. Parfois sombres, parfois mélancoliques, parfois incisifs, ils resteront malgré tout fidèles au « son Deftones » et à leurs envies. Cela laissera pas mal de monde sur le carreau, notamment en 2016 avec Gore, leur huitième méfait. Non pas qu’il soit mauvais, bien au contraire, mais les riffs y sont moins marquants qu’à l'accoutumée et une atmosphère contemplative s'en dégage. Quatre ans plus tard, Ohms viendra remettre la majorité des fans d’accord avec un retour aux guitares tranchantes, à la basse vrombissante et aux fûts groovy à souhait qu’il proposait dans son ensemble. C’est dans ce contexte qu’en août 2025 arrive ce dixième album, Private Music, avec en plus l’arrivée de Fred Sablan à la basse ainsi que le retour de Nick Raskulinecz à la production. Ce nom a d’ailleurs de quoi mettre l’eau à la bouche, ayant notamment déjà travaillé avec le groupe sur Diamond Eyes et Koi No Yokan.
Soyons clair, ce Private Music ne va clairement pas réinventer la musique de la formation, mais va plutôt la faire muer à l’instar d’un serpent, comme celui de la pochette. Tous les ingrédients propres à leur identité sont là, mais avec ce petit truc en plus qui va donner une certaine couleur et une personnalité à ces onze morceaux. Si l’on se penche sur leur interview récente avec Zane Lowe, on se rend vite compte de l’état d’esprit du groupe lors de sa création. Ils ont dépassé la cinquantaine, ont chacun leur propre vie à côté de la musique et font le maximum pour faire en sorte que la composition reste un plaisir et non une corvée. Leur mantra : prendre son temps et rester sincère dans la démarche de création.
Dès les premières notes de My Mind Is A Mountain, la huit cordes de Stephen Carpenter, alliée à la batterie lourde et puissante d'Abe Cunningham, nous roule dessus sans même nous donner d’avertissement. Une lourdeur à la frontière du Doom qui viendra rapidement être contrebalancée par le chant angélique et singulier de Chino Moreno. Vers 01:45, le rythme ralentit et on se sent planer grâce à de doux arpèges. Pouvant nous laisser sur notre faim en tant que morceau seul malgré tout, il ouvre les portes de ce disque sous les meilleurs augures, notamment grâce à son enchaînement avec le fulminant Locked Club et sa distortion permanente sur près de trois minutes. Une approche plutôt directe que l’on retrouvera plus tard sur cXz ou Cut Hands. À la première écoute, on se rend compte à quel point Fred Sablan prend déjà ses marques, notamment sur l’un des meilleurs moments de la galette, Ecdysis, et sa ligne de basse à rendre Nine Inch Nails jaloux, apportant un groove si particulier à la composition et s’alliant magnifiquement avec le jeu d'Abe Cunningham.
S’il y a bien une chose pour laquelle Deftones brille d’autant plus, c’est par la qualité de leurs morceaux plus calmes, où chaque musicien va adoucir son jeu et nous offrir un instant de poésie sensuelle et mélancolique. I Think About You All The Time ne déroge pas à la règle. Pure parenthèse de douceur, il arrive à nous transmettre un sentiment de nostalgie dès sa découverte, nous rappelant nos premiers émois amoureux, mais aussi les meilleurs moments Shoegaze et éthérés de Gore. Au rayon des expérimentions, on peut noter plusieurs choses : une guitare palm-mutée et bourrée de filtres modulaires comme motif principal de Infinite Source, un pur swing seventies allié à un aspect Trip hop faisant écho à Saturday Night Wrist sur Metal Dream, ou encore un chant de crooner sur le morceau final… On peut aussi notifier la présence de deux titres de près de six minutes avec Souvenir et son mur de son soyeux ou encore l’hypnotique Departing The Body qui rappelle Cult Of Luna et son Passing Through menaçant sur la toute fin de Vertikal.
Il est tout de même important de dire qu’en 2025, la formation ne fait pas non plus dans la grande originalité. Leur science du riff, du groove, du placement de la voix ou d’utilisation d’éléments électroniques peuvent s'apparenter à des gimmicks, mais cette formule a forgé l’identité de la bande. Sans être non plus dans la redite, ils nous gratifient d’une authentique synthèse de leur son de ces quinze dernières années. Rappeler donc Nick Raskulinecz n’est pas un acte anodin : sa patte apporte l’équilibre dont ce disque a besoin par sa variété d’ambiances, servant un aspect bien moins monochrome que ne pouvait être le sombre Ohms. Pleins de petites subtilités nous poussent à y revenir dans sa production, que ça soit des lointains petit chœurs fantomatiques ou des triturations de sons apportant de la texture à chacun des instruments. Difficile de ne pas évoquer les refrains tous plus accrocheurs les uns que les autres ainsi qu’un Chino au sommet de son art. Que cela soit sur scène ou sur disque, on le sent en pleine forme et ça fait du bien.
Si tant est que l’on adhère à la musique des Deftones, Private Music est un disque amplement réussi et à la hauteur des attentes que l’on pourrait avoir aujourd’hui pour des musiciens d’une telle ampleur. Tout ce qui y est entrepris est réussi, peaufiné sur tous les aspects et fait avec passion. Un bonbon pour ses auditeurs, d’autant plus quand la volonté des artistes est de vouloir nous offrir une bulle d’introspection le temps de l’écoute. Alors laissez le serpent de la pochette vous mordre, laissez son venin se propager en vous et profitez de ce voyage qui vous est offert.

Deftones
"Private Music"
- Date de sortie : 22/08/2025
- Label : Warner Music
- Genres : Metal, Nu-metal, Metal Alternatif
- Origine : Etats-Unis
- Site : http://www.deftones.com