Ghost - Meliora

Nous sommes en l'an de grâce 2025 et en l'espace d'un mois, le monde s'est vu être confronté au changement de deux figures importantes, égales mais pourtant si différentes. Si en avril nous avons perdu François, pape de la religion chrétienne et remplacé en mai par Léon XIV, ce n'est pas la première figure d'autorité à s'être vue remplacée. En mars, Ghost a dévoilé Papa V Perpetua, sixième leader pour autant d'album, Skeleta arrivant dans nos oreilles le 25 avril. À l'inverse de la chrétienté, le groupe suédois ne change pas réellement de leader, Tobias Forge étant la figure de proue du projet depuis le début. Mais ça, en 2015, nous ne le savions pas encore.

En octobre 2010, une mystérieuse formation masquée se fait remarquer sur internet. Personne ne le sait encore à l'époque mais Ghost vient de poser la première pierre d'un édifice qui ne cesse de grandir au moment de l'écriture de ces lignes. Opus Eponymus marque les esprits grâce à plusieurs choses : une musique occulte sans être trop sérieuse, des idées de composition brillantes et un détournement de plusieurs codes, ceux de l'horreur mais aussi ceux de la religion. À sa tête, Papa Emeritus I, accompagné de ses goules masquées. Pas encore un immense carton, mais les spécialistes remarqueront l'effort et une frange de fans se créera assez naturellement, appâtée par la musique mais aussi le mystère autour de ce groupe.

La formation comprendra vite que le live sera leur tremplin vers le succès et dès les premières tournées post Opus Eponymus, un engouement se crée. Suffisamment pour que des labels s’arrachent la poule aux œufs d'or. Loma Vista Recordings sera leur nouvelle maison et ce, encore aujourd'hui. Un label soutenu par Universal et qui aura le nez creux puisqu'Infestissumam, sorti en 2013, sera une première belle réussite critique. Avec Papa Emeritus II à sa tête, le combo scandinave améliorera sa formule pour proposer des chansons encore plus efficaces, catchy mais avec toujours ce grain de sel spooky qui plaît tant.

2013 marquera le début des embrouilles pour le combo suédois avec un changement de nom aux États-Unis. La mention B.C est rajoutée derrière Ghost en raison d'un litige avec un autre groupe ayant renseigné son nom aux registres adéquats avant le Pape et ses Goules. Une petite griffe nominale qui ne restera que deux ans, le temps pour la formation d'enregistrer un troisième disque et pour les avocats de régler cette petite broutille. C'est alors qu'en juin 2015, le groupe revient avec Cirice, premier single de Meliora.

Il est difficile de mieux annoncer son retour que par la publication d'un morceau aussi fort que Cirice. La production est déjà plus soignée, plus propre, tout en conservant la lourdeur des influences Doom aperçues auparavant. Le refrain est simple et permet de vite le reprendre en chœur avec Papa Emeritus III, les riffs ayant cette efficacité offrant un mouvement de nuque aisé. Un titre qui sera accompagné d'un clip, hommage à Carrie et le bal du Diable, cimentant la place de Ghost dans cette sphère spooky qui les suit depuis leurs débuts.

Il faudra attendre deux mois pour avoir les mains sur ce troisième album qui était forcément très attendu au vu du premier single. Meliora arrive le 21 aout 2015 et avec lui, la confirmation que Ghost allait devenir ce mastodonte du Metal. Dès l'ouverture, Spirit nous met dans l'ambiance avec ses synthès d'un autre temps suivis de l'entrée de la guitare rythmique puis de la batterie, martelée pour ajouter de la puissance. Cette entrée en matière montre ce qu'on aura sur la majorité des pistes : de l'efficacité et du catchy.

Ce qui va compter, ce sont les 50 nuances de sentiments que l'on retrouve au fil de la tracklist. On aura de la lourdeur (Cirice, Mummy Dust), de l'épique (Absolution, Majesty) et des pistes mélangeant savamment les deux (Spirit, From The Pinnacle To The Pit). Le tout est savamment orchestré pour nous faire passer d'un univers à l'autre, sans que l'on se trouve décontenancé. La formation s'offre même des petites nouveautés, qui deviendront des marques de fabriques dans leurs prochaines sorties. Des interludes instrumentales sont présentes pour nous faire souffler, notamment Spöksonat qui amène à un type de chanson que Ghost n'avait pas encore expérimenté : la ballade.

Les exemples sont légions dans la sphère Hard Rock/Metal et chacun ira de son petit argument pour désigner LA ballade parmi toutes. Il faut bien reconnaître qu'avec He Is, Ghost a offert un concurrent de choix et les Suédois l'ont bien compris puisqu'ils essayeront par la suite de rééditer l'impact de cette chanson avec Life Eternal sur Prequelle, sorte de fusion entre He Is et Monstrance Clock tirée d'Infestissumam. Une ouverture plus pop qui finalement sera la coutume pour le groupe sur le reste des sorties, une entreprise que l'on aurait pu deviner rien que par le choix du producteur.

Retour en 2013, après la sortie d'Infestissumam : Ghost se fait remarquer avec cet album et les Scandinaves vont croiser la route de Dave Grohl. Toujours dans les bons coups, le multi-instrumentiste prend sa casquette de producteur pour If You have Ghost, EP de reprises proposé par la formation avec notamment la piste titre, devenue un incontournable au moment de sa sortie. On retrouvera aussi des covers d'ABBA, Army of Lovers et Depeche Mode, des entités beaucoup plus Pop que ce que les "fantômes" proposaient musicalement. Et si on pourra constater un adoucissement de la musique de Ghost dans les sorties post Meliora, l'envie de reprendre des titres continuera au fil de leur carrière, avec plus ou moins de réussite.

Cette volonté d'aller sur les territoires de la Pop se confirmera avec le choix de Klas Åhlund en tant que producteur de Meliora, remplaçant un Nick Raskulinecz ayant officié sur Infestissumam et énormément de disques Rock et Metal. Un recrutement étonnant puisqu'Åhlund n'avait jamais mis ses mains dans les sphères Metal avant ce disque. Pourtant, il faut reconnaître un soin tout particulier à la tracklist, limpide, fluide sans pour autant être lisse. Un soin porté aux morceaux qui deviennent plus facilement chantable, proche d'hymnes qui pourraient être scandés par des foules en délire dans des festivals et/ou des stades, l'objectif final de Ghost. Åhlund qui reviendra d'ailleurs aux manettes d'Impera avant qu'un certain Gene Walker ne s'occupe de Skeleta, un pseunodyme cachant en réalité un certain Tobias Forge, qui était entouré de quatre autres personnes pour offrir ce disque oubliable et déjà oublié.

Si Ghost a tant grandi en terme de popularité, ce n'est pas seulement grâce à la qualité de ce Meliora. La messe suédoise a conquis énormément d'âmes sur son passage grâce à des shows calibrés pour conquérir les oreilles des fans. Point d'orgue de tout ceci, un show au Hellfest 2016 conclu par un Monstrance Clock mythique et sa chorale d'enfants sur son final. Le tout saupoudré d'un feu d'artifice afin de couronner définitivement le groupe comme le futur d'un genre musical qui avait de la peine à sortir des années 80. Cocasse quand on sait que cette même décennie sera un terreau fertile aux sorties post Meliora.

Pourtant, malgré le succès, le groupe se verra frappé d'un remous judiciaire peu glorieux, la faute à des histoires d'argent. Une affaire qui provoquera une scission importante et surtout, qui officialisera le secret le moins bien gardé de la musique : Tobias Forge était bien Papa Emeritus depuis le début. Sauf que toutes les Goules partiront, notamment Martin Persner, qui semblait avoir une importance créatrice certaine. Ce dernier relança Magna Carta Cartel, son premier amour musical, avec moins de succès que Ghost. De tout ceci, Forge gardera une certaine rancœur qu'il exprimera sur Prequelle ou certains titres, notamment les paroles, contiennent des attaques et des réponses envers ses anciens camarades de jeu. Depuis, quand on entend l'évolution stylistique du groupe, il est certain que Forge est le seul maître à bord, pour le meilleur ou pour le pire.

Quand on touche les sommets, on ne peut que redescendre. Si certaines formation arrivent à minimiser cette chute, Ghost lui s'enfonce à chaque sortie. Prequelle offrait pourtant une direction plutôt intéressante avant qu'Impera et Skeleta ne soient que des prétextes à écouler du support physique sans grand intérêt. Fort heureusement, on peut retourner sur l'album ayant le nom le plus adéquat. Oui Meliora est bien le meilleur album des Suédois et la simple pensée d'imaginer qu'il fête ses 10 ans donne un sacré coup de vieux. Felicem natalem diem!