Gojira - Maciste All'Inferno

Nous désirons tous quelque chose que l'on sait impossible à atteindre. Pour certains, c'est un objet hors de portée de leurs moyens financiers. Pour d'autres, c'est d'assister à un événement passé qui est important pour eux. Pour Joel Embiid, c'est avoir une bague de champion NBA, pour le PSG, un jour décrocher la ligue des champions et pour les ministres de Renaissance, c'est être respecté et être respectable. En ce qui me concerne, c'est avoir en ma possession un exemplaire d'un objet apparemment introuvable : l'EP Maciste All'Inferno de Gojira.

De la carrière de Gojira, avec les EP pré-Terra Incognita et le Sea Shepherd EP, ce disque est sûrement l'objet le plus mystérieux. Il n'en existe pas de version officielle, laissant ainsi planer le doute sur sa tracklist, sa durée et le nom de ses titres. Pourtant, cette œuvre est spéciale par bien des aspects. Peu connue de la discographie du quatuor Landais, Maciste gagnerait à l'être davantage, étant stylistiquement la plus à part du groupe, puisque c'est techniquement la bande-son d'un film muet des années 20. Présentons donc ce disque fêtant ses 20 ans cette année.

Pour commencer, parlons de l'objet : on n'en connaît que la pochette, dans une qualité moyenne. Le reste est à ce jour introuvable. Le dessin ou la peinture représenté a l'air d'être tiré d'une œuvre représentant l'enfer, sans qu'on puisse déterminer laquelle. Et même si on a l'image de cet artwork, il conserve tout de même une part de mystère : le nom de l'EP est tiré du film dont il s'inspire, Maciste All'Inferno (Maciste Aux Enfers dans la langue de Mylène Farmer). Sauf que ce dernier est orthographié "Maciste All Infierno" sur la pochette, une erreur dont la raison est inconnue. Dès lors, doit-on appeler cet EP en fonction du titre du film ou de la pochette ? Difficile à dire sans réponse explicite du groupe. De notre côté, nous suivons l'avis général et utilisons celui du film. Le mystère entoure également le nom des pistes, puisqu’elles sont simplement appelées “Maciste [numéro]”. Depuis sa version live de 2020, on sait que Maciste 7 est en réalité nommée Inferno. En est-il de même pour les autres ? À vous de voir.

Ensuite, pour citer un vidéaste spécialisé dans le rétrogaming : "contexte ?" Là, Gojira surprend, puisque cet EP résulte d'une démarche assez rare : Maciste All'Inferno a été enregistré lors d'une performance dans un ciné-concert du film du même nom, à priori le 29 mai 2003 selon les sources. Le film, muet, se voyait ainsi doté d'une nouvelle bande-son. Le contexte de composition est - lui aussi - inconnu : on ne sait pas quand les Landais ont trouvé le temps de le faire, surtout quand on sait que The Link, sorti à peine plus de 40 jours avant la performance, avait été fini au dernier moment. Était-ce un projet prévu de longue date ? Ou fut-ce une OST non officielle créée en un mois ? À défaut d'éléments tangibles infirmant une version ou l'autre, à vous de voir celle qui vous satisfait le plus.

Le film pour lequel cet EP a été composé est donc un film muet italien de 1925, mais dont la sortie officielle est datée en 1926. Les limites de ce qui est acceptable de montrer à l'écran ou non étant alors différentes, des sections avaient été censurées. Brièvement, Maciste Aux Enfers raconte l'histoire de Maciste, homme aux caractéristiques herculéennes, qui va se retrouver au-delà de la rivière Styx à cause du roi des enfers, Pluton. Plusieurs épisodes et incidents auront lieu, donnant une toile de fond sur laquelle Gojira composera. On ne sait malheureusement pas si le groupe a composé pour la version censurée ou non du film.

À cette époque-là, le line-up de la formation était le même qu'aujourd'hui : les deux frères Duplantier (guitare pour Joe et batterie pour Mario), Jean-Michel Labadie (basse) et Christian Andreu (guitare). Mais Maciste All'Inferno n'est pas comparable à leurs deux albums précédents. Là où c'était leurs propos qu'ils exprimaient auparavant, ils durent cette fois s'adapter à un matériau de base qui n'était pas le leur. Et si on peut trouver la patte Gojira sur cet EP, c'est également ici qu'elle est la moins palpable.

En premier lieu, les paroles sont très rares : on n'entend la voix de Joe que sur 3 des 15 titres. À la place, le travail sur les compositions des guitares va être bien plus important. Les leads sont davantage présentes par rapport à l'accoutumée, tout comme les mélodies. Bien sûr, on aura toujours le droit à des sections bien death (Maciste 7, 14) mais l'EP ne peut pas se voir affublé de l’étiquette du genre, loin de là. On est souvent plus proche du rock / metal (Maciste 4, 8, 13, 15), moins brutal et plus subtil. L'agressivité laisse place à d'autres approches plus mélancoliques, tristes ou désinvoltes. Les atmosphères de Maciste 2, 6, 8, 13 ou 15 sont uniques dans la discographie du quatuor. Comparées aux autres œuvres de Gojira, les ambiances sont plus hétérogènes sur Maciste : apaisée, colérique, sautillante, désespérée, on trouve de tout, afin que la musique colle au film qui se déroulait derrière le groupe ce jour-là.

La batterie se déchaîne beaucoup moins que sur The Link et Terra Incognita, même si Mario se fait plaisir à plusieurs moments. On pense notamment aux transitions entre les morceaux, où les roulements et jeux de cymbales sont légion. La double pédale se cache mieux, et la basse suit son exemple : plutôt que de servir de base rythmique, elle sert plus souvent de base mélodique, exhibant un jeu plus simple et espacé.

Les morceaux sont également plus courts et simplistes par rapport au Gojira "classique" . Ne dépassant pas ou de peu les deux minutes, les titres se superposent sur les scènes du film. Ils se limitent souvent à un riff / une mélodie, encore une fois pour s’adapter à la pellicule. Les morceaux plus longs, quant à eux, peuvent se découper aisément ou être répétitifs. Évidemment, puisqu’on est sur bande originale - non officielle - des thèmes sont présents et reviennent au long du disque.

Dans son mixage, Maciste All’Inferno est sec, aride, malgré les mélodies qui le parcourent. De par le manque d’informations à son sujet, on ne sait pas si c’est délibéré ou simplement dû aux conditions d’enregistrement. En tout cas, cela sied particulièrement bien au thème infernal du film. La voix de Joe est brute, que ce soit dans les parties violentes ou celles plus tristes. L'œuvre est traversée par une ambiance qu’on pourrait qualifier de décharnée. Les textures sont rugueuses, presque étouffantes, bien appuyées par des tremolos de six-cordes s'apparentant aux fumées du brasier éternel.

Tout ceci met en valeur l’aspect authentique de l’EP. Il y a quelque chose de viscéral qui parcourt cet objet. Du mystère l’entourant à ses parties visibles, Maciste All’Inferno est loin d’être aussi poli que les autres créations de Gojira. On s’approche, dans l’esprit tout du moins, de l’idée d’une démo. Tout comme le cinéma de 1925, l’EP semble être un joyau qui vient juste de sortir de terre. On perçoit le propos, on en comprend le fond, mais cette pierre précieuse n’a pas le polissage qu’elle pourrait mériter. Pour vous offrir une ouverture de réflexion, sachez que le riff de Maciste 14 a été utilisé 10 ans plus tard dans My Last Creation, titre bonus de L’Enfant Sauvage.

Peut-être que le contexte de sortie, accélérée, n’a pas aidé, ou peut-être que c’était bien la forme finale que le groupe souhaitait offrir. Seuls ses membres pourront le déterminer. Il n’empêche que la forme sous laquelle Maciste All’Inferno est connue cadre bien avec le film qu’il entend illustrer. Brute mais honnête, cette bande originale non officielle est un bijou qui, bien que pouvant paraître inachevé, happera votre attention et saura défier vos attentes si vous connaissez déjà le groupe. Le Gojira de cette époque s’amusait à expérimenter divers genres (je vous laisse le plaisir de découvrir leur side project Empalot), laissant quelques traces pas toujours évidentes à déchiffrer. Cela nous permet aujourd’hui d’explorer cette partie de leur carrière, ici pour notre plus grand plaisir. Alors comme Maciste avant vous, plongez dans cet enfer bien trop attirant.