The Ocean Collective - Phanerozoic I : Palaeozoic

Petite bête deviendra roche.

Les récits portant sur notre Histoire sont une source inépuisable d'inspiration pour celui ou celle qui veut agrémenter ses compositions de paroles impactantes. Un puit sans fond de sagas et de légendes. Ouvrez un livre et vous voilà en possession d'un terreau fertile pour écrire les meilleures de vos fictions. Ajoutez à vos textes une mélopée entraînante et vous venez de créer une œuvre qui saura faire mouche dans le monde musical. Cependant, la plupart des groupes qui abordent notre passé ne s'intéresse qu'à celui où les Hommes sont les protagonistes. Il existe pourtant une histoire bien plus grande que la notre, celle raportée, non pas par d'anciens scribes mais par les roches et les minéraux sous nos pas, contant la vie et l'évolution de notre planète. Une thématique tout aussi intéressante pourtant délaissée par notre imaginaire. Le quatrième art ne déroge pas à la règle en ne s'étant que peu intéressé à ces antiques ères géologiques de la Terre.

Au début du millénaire, un jeune Allemand, Robin Staps s'installe à Berlin et découvre sa vie cosmopolite. Il vient dans la métropole avec l'objectif de fonder un groupe pour produire un son puissant et colossal inspiré par les pionniers du Post-Metal que sont Neurosis. Son projet, il le baptisera The Ocean, en référence à la majesté à la fois calme et féroce des étendues d'eau de notre planète. Il faudra attendre 2007 et leur quatrième album, Precambrian pour que le collectif aborde la jeunesse de la Terre, de sa création dans une intense fournaise en passant par l'apparition des océans et de la Vie. Une heure et demi d'un metal corrosif et épais pour retracer la génèse de notre monde. Racontant en musique une histoire de 4 milliards d'années, s'arrêtant avant le prochain éon, 600 millions d'années avant notre ère. L'efficacité de la production des Allemands les mènera à connaitre leur premier succès et les placera lentement sur le trône du post-metal progressif, trône disponible depuis peu avec le départ des américains de Isis, autre grand nom spécialisé dans les sonorités longues, complexes et torturées. La venue de Loïc Rossetti au poste de vocaliste sur le dyptique Heliocentric / Anthropocentric, consacré à l'Histoire de l'Humanité d'un point de vue plus spirituel, apportera une nouvelle consécration à leur renommée. Ajoutons à ces albums un sublime voyage dans les abysses maritimes avec Pelagial en 2013, et vous voilà face à l'un des plus prometteurs groupes de la scène actuelle.

The Ocean contèrent les archives de l'espèce humaine ainsi que le passé lointain de la planète, mais ils ont laissé une période cruciale dans l'histoire de la Terre en suspens : celle de l'apparition de la vie complexe et qui mènera à la faune et la flore que l'on connait. Cette période, les géologues la surnomment le Phanérozoïque. Et il aura fallu attendre la fin d'année 2018 pour que les artistes accouchent d'un premier fait d'armes narrant ce qu'il s'est passé pendant cette période cruciale à la vie terrestre.

Le Phanérozoïque (du grec signifiant "animaux visibles") est un éon couvrant les 541 derniers millions d'années. Il commence par la période géologique du Cambrien, avec l'apparition des petits animaux à coquilles, puis a vu le développement d'une vie animale abondante jusqu'à nos jours.

L'éon du Phanérozoïque débute avec l'ère du Cambrien, période où l'on remarque une forte accélération de l'évolution. En quelques milliers d'années les animaux développent les yeux, les pattes, sortent des mers primitives pour commencer à coloniser les terres. Cette soudaine activation de la Vie complexe dans les temps géologiques lui a valu le surnom d'Explosion Cambrienne. Le versant musical de cet événement est en parfait adéquation avec cet épisode. Notre écoute commence avec une reprise aux relents ambiants du thème au piano de Cryogenian, qui concluait Precambrian 10 ans plus tôt. L'introduction laisse place à la déflagration causée par les guitares et les fûts de Cambrian II : Eternal Recurrence. The Ocean pose le décor d'emblée avec une de leurs meilleures compositions : un metal devenu plus accessible où se dilue dans l'ensemble des teintes de synthés et de violons qui viennent agrémenter les performances vocales de Loïc. Celui-ci alterne entre un growl et un chant clair tout le long des compositions, les deux se mettent à la tâche de créer une mixture très efficace qui nous plonge dans une ambiance à la fois pesante, augural, puis enchaine sur une dose ajustée de passages plus éthérés. L'optique de l'album est le même que son prédécesseur géologique, chaque chanson aborde une ère précise dans sa globalité en respectant ses événements marquants avec une certaine musicalité.

Un motif très précis où, souvent, deux chansons sont reliées entre-elles se déroule. La première partie concerne toujours un événement tragique du type glaciation globale ou extinction de masse évoqué par un post-metal fédérateur. Puis, le groupe vient s'exercer sur d'autres ambiances où le piano, les violons et autres s'ajoutent au traditionnel trio guitare/basse/batterie. Ces appareils musicaux évoquent la Terre qui évolue sans pour autant se préoccuper de nous, puis quand d'autres instruments viennent changer l'atmosphère du morceau, on comprend que la Vie est présente en nombre sur ces parties musicales. Ainsi donc, Ordovician : The Glaciation Of Gondwana reste dans un climat écrasant et évoque cette crise glaciaire pour nous préparer à la nouvelle biosphère de Silurian : Age Of Sea Scorpions. Le Silurien étant une période reconnue pour sa faune marine, on est ici en présence d'une basse ronde et d'un riff lourd, nous plongeant dans les abysses. Le tout est accompagné d'un synthé aux légères ambiances aquatiques, rappelant leur précédent sortie, Pelagial, qui avait vu apparaître leur son abyssal caractéristique. L'exercice ne fut qu'approfondi avec ces nouveaux morceaux.

Un autre coup de poker sur ce disque est la longue piste Devonian : Nascent. Le Dévonien reste une ère relativement calme dans l'histoire terrestre, ce fut l'occasion pour le groupe d'inviter Jonas Renkse, chanteur de Katatonia, qui pendant 11 minutes apportera une profondeur supplémentaire au morceau avec son timbre de voix chaleureux. Cette chanson est une grosse démonstration de la qualité des compositions de The Ocean, où la production des différents instruments montre sa force. Chaque partition se distingue des autres et vont, au travers d'un début lancinant, construire une tension de plus en plus pesante, tension qui annonce les dernières pistes contant les deux derniers drames du Paléozoïque. La première étant la chute du Carbonifère et de sa forêt tropicale avec une menaçante instrumentale sur The Carboniferous Rainforest Collapse, puis enfin la grande extinction du Permien, l'événement le plus tragique pour la Vie terrestre avec l'autre grand classique de ce disque : Permian : The Great Dying.

L'extinction du Permien est marquée par la disparition de 95 % des espèces marines et de 70 % des espèces vivant sur les continents, ce qui en fait la plus grande extinction massive ayant affecté la biosphère

S'il y a bien une chanson qu'on peut qualifier de tube ou de classique dans le répertoire de The Ocean, c'est la conclusion de cette première partie du Phanérozoïque. Des accords de guitare qui rentrent immédiatement en tête, Loïc au meilleur de ses capacités vocales, nous donnant immédiatement envie de scander les paroles avec lui. Une basse massive s'ajoute et accompagne un duo violon/piano sur une bonne moitié du morceau, suffisant à créé l'un des meilleurs titres de la formation. Une nouvelle démonstration de tout le spectre thématique que le groupe peut développer. Parfaite illustration de cet événement tragique qu'est l'extinction du Permien où la Vie a bien faillit disparaître.

La particularité de ce morceau, ainsi que de tout les autres, est d'avoir emboîté plusieurs fictions au sein de la Grande Histoire de la Terre. Plus que simplement expliquer en musique ce qu'il s'est passé durant ces temps révolus, le groupe se met dans la peau de notre toute jeune Humanité et transcrit ces antiques événements à notre époque moderne. C'est pour cela qu'en s'intéressant aux textes de cet œuvre, on surprend le groupe se mettre à la place de Mère Nature. Sur Permian : The Great Dying, elle démontre son indifférence envers notre espèce, et préfère l'abandonner pour relâcher un fardeau. Des paroles qui résonnent en nous, vu que nous sommes justement en train de connaitre une nouvelle phase d’extinction de la biosphère. Pour autant The Ocean ne se place pas dans les rangs des accusateurs, mais constate simplement ce cycle éternel qu'entretien la planète. Des espèces disparaissent et laissent leur place vacante pour leurs successeurs. C'est d'ailleurs montré dès le début de notre écoute, Cambrian II : Eternal Recurrence reprend un texte de Nietzsche. Le philosophe expliquait qu'il faut mener la vie que l'on souhaite, celle qu'on revivrait sans hésitation après notre mort, si une telle chose était rendue possible, conformément à tous les événements qui se reproduisent indéfiniment. Ce n'est qu'un bref passage qui fut repris pour le morceau, mais ici le texte est adapté au cycle du vivant où seule la mort en sort vainqueur. Inévitablement, ces aventures sont condamnées à se reproduire, enchaînant reproductions de la biosphère et extinctions de masse. Et c'est à nous de l'accepter pour en sortir plus grand.

The Ocean est, de manière générale, un groupe dont l'univers est assez difficile d'accès, de par les textes abordés ainsi que leur sonorité, composée de longues et tumultueuses pistes n'allant que rarement sous la barre des 5 minutes. Mais leur force avec Phanerozoic I : Palaeozoic est d'avoir condensé le meilleur de leur discographie en un album. Si vous voulez vous lancer dans l'aventure de The Ocean et devenir de petits géologues en herbes qui galèrent encore à prononcer correctement les noms des différentes ères de la Terre, je vous conseille d'écouter cet album sans aucune hésitation. C'est de loin le plus accessible de tous ceux qu'ils ont produit. Une preuve magistrale supplémentaire de leur talent de composition pour nous faire plonger dans ces temps révolus qu'on ne peut maintenant que rêver, en écoutant encore et toujours la musique du collectif.

Vu que le groupe n'a abordé qu'une grande moitié du Phanérozoïque avec cet album, on reviendra en temps voulu sur sa seconde partie avec Phanerozoic II. En attendant, si l'écoute de ce premier volet vous a donné l'envie de vous intéresser à l'histoire de la Terre, alors c'est un pari totalement réussi et on attend sa suite avec impatience.

Image utilisée pour la couverture : Artist's Impression of a Carboniferous Forest - Ludek Pesek

EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
TempératureIndice du mood général de l'album : 1/5 = froid, musique globalement maussade, négative, voire violente 5/5 = chaud, musique très joyeuse voire festive
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

Phanerozoic1
The Ocean Collective
"Phanerozoic I : Palaeozoic"