The Shoes - Chemicals

10ans déjà

2015, c’était il y a dix ans. À la fois c'est proche et à la fois c’était il y a une éternité. Barack Obama était encore président contrairement à Emmanuel Macron, les radios tournaient déjà en boucle sur Uptown Funk et l’équipe de France de football courait encore après sa seconde étoile. Ça, ce sont des séries qui ont trouvé leurs suites dans les années suivantes, mais aujourd’hui on va se tourner vers un feuilleton perdu dans les limbes, où rares sont ceux à encore espérer voir sortir un nouvel épisode.

En 2015, The Shoes a une actualité foisonnante et un carnet d’adresse impressionnant. Crédités au générique du Grand Journal de Canal+, les Rémois se paient les services de Jake Gyllenhaal sur le clip de leur grand tube Time to Dance et figurent même sur un remix officiel du Loca de Shakira. C’est dans ce contexte que le duo sort en grande pompe son troisième album le 2 octobre 2015, adoubé par la presse musicale de l’époque et accompagné par une campagne de promo culminant lors d’un court set live au Grand Journal.

Alors que s'est-il passé ? Comment se fait-il qu’en 2025, la première question qui vient à l’évocation de leur nom n’est plus “Quand reviendront-ils ?” mais plutôt “Qui ça ?” ? Car pour rappel, The Shoes à l’origine, c’est un duo électropop Rémois composé de Benjamin Lebeau et Guillaume Brière, tous deux également très actifs en tant que producteurs pour d’autres artistes. Revenons donc sur Chemicals qui en plus de souffler ses dix bougies, reste encore aujourd’hui, leur dernière sortie officielle sous le nom de The Shoes.

Et parce qu’un bon album se doit d’avoir une bonne ouverture, Chemicals pose directement ses bases avec Submarine. Le morceau sait surprendre à rebours car il possède déjà tout ce que l’on retrouvera sur l’album tout en proposant une identité très différente de tous les morceaux qui lui emboitent le pas. Tout y est lent, embué, flottant. Le chant de Blaine Harrison nous immerge dès la première seconde avec un refrain en piano-voix rattrapé par un beat trip-hop et une reverb abyssale qui ne nous quittera plus. Les couplets reprennent la phrase du refrain mais dans une version si aqueuse que le sens se dilue complètement dans la reverb. On finira par boire la tasse une dernière fois dans un solo de batterie chaotique à souhait qui achèvera de nous couler par le fond.

La sirène qui viendra nous secourir ne tardera heureusement pas à venir nous extirper des algues. Made For You est-elle une énième chanson d’amour pop de la décennie passée ? Peut-être, mais celle-ci a trempé ses lèvres dans le plus doux des nectars. Ses refrains nous envoient danser avec des nappes de synthé dont on ne veut jamais quitter les bras. Le chant de Esser valse avec la reverb et nous embrasse en laissant traîner ses notes dans l'écho de l’océan. Il viendra resserrer un peu plus sa langoureuse étreinte dans un pont intimiste où les nappes ne nous parviennent plus que feutrées dans la nébuleuse bleue. Le dernier refrain accorde une dernière danse aux paroles avant de conclure le morceau dans un dernier baiser. On sort de l’eau sous la voûte stellaire d’une outro sublime. Les synthés reviennent plus scintillants que jamais pour nous extirper de ce rêve éveillé.

Si on pourrait penser que The Shoes viennent de tirer leur meilleure cartouche dès le second morceau… alors oui c’est un peu vrai mais il serait erroné de croire que le soufflé va retomber aussi vite. Car ce qui fait l’autre force des Rémois c’est leur capacité à composer des tubes radiophoniques hyper-dansants. Si on se souvient de Time to Dance, datant de leur précédent album et qui réapparaît encore de temps en temps dans des publicités, son digne héritier se trouve être Drifted. Ce dernier découle pourtant directement de la mélancolie des pistes précédentes avec des couplets piano-voix déclamés par SAGE. Mais ne vous y trompez pas, on parle bien d’un morceau de club avec ouverture sur un beat sourd et des claps qui viendront donner tout leur groove à l’ensemble. Ceux-là ont d’ailleurs l’astuce de ne pas proposer une rythmique immédiatement assimilable pour forcer l’auditeur à s’impliquer s’il veut suivre le duo.

Mais un morceau vient pousser encore plus loin ce côté “gros son”. Us & I s’inscrit dans la continuité des tubes de la scène Big House Room qui ont émaillé 2013. De quoi vous donner des PTSD (ou de la nostalgie, au choix) du Animals de Martin Garrix et du Tsunami de DVBBS et Borgeous tant ces morceaux avaient été matraqués à cette époque avant de complètement disparaître. On y retrouve les sons de percussions ultra synthétiques propres au genre et une spatialisation impressionnante des différentes sonorités. Le boum-boum des basses vous masse les tempes depuis le hangar d’à côté, tandis que la caisse claire vient vous fouetter les tympans à bout portant. Les claps semblent enregistrés dans un cagibi alors qu’on retrouve Esser perdu dans l’espace. Le tout s’assemble à merveille grâce à l’utilisation massive de reverb qui permet de marier chaque élément et de retrouver cet équilibre entre danse et mélancolie.

La seconde moitié de l’album n’est pas en reste et présente un ensemble finalement plutôt varié. Give It Away se pose comme un single très classique pour faire le pont avec Crack my Bones, leur précédent disque. Le double morceau en un Fifteen Instead & Brown ajoute une petite dose loufoque plus explicite à une série de morceaux possédant un second degré plus discret. Enfin Feed the Ghost apporte sa pointe de hip-hop introspectif qui fera plaisir aux amateurs de Gorillaz sans que cela ne soit malvenu avant d’attaquer la conclusion.

Construite comme une dernière ascension en sortie d’album, Whistle vient nous faire décoller une dernière fois sur le tarmac d’une piste toujours aussi chill. Le titre pose son ambiance à base de fredonnement et de chants réverbérés pendant près de deux minutes trente avant d’allumer les gaz. S’ensuit une lente accélération d’une minute portée par un beat bien senti avant d’allumer le second moteur complètement électro-house. On lâche ensuite les freins à quatre minutes pour atteindre le climax de l’album et permettre de terminer Chemicals sur une apothéose.

Une sortie de scène poétique quand on considère la disparition quasi-totale du duo une fois la tournée dédiée à Chemicals terminée. Malheureusement, l’histoire récente ne va pas dans le sens d’une reformation de The Shoes. Bien que le groupe ne soit jamais entré explicitement en hiatus, il semble avoir complètement disparu de la circulation sous cette forme. On a pu les voir depuis œuvrer à la production d’autres artistes et surtout, Guillaume Brière officie désormais derrière le masque de Vladimir Cauchemar. Reste de Chemicals un disque qui marque une jolie capsule temporelle d’une époque pas si lointaine, où, même si on a fort peu de chance de la voir resurgir, il sera toujours bon de s’y replonger.

Joie de VivreComment l'album va impacter votre humeur. 1/5 : Tout est noir et triste, et si je me roulais en boule ? 5/5 : Tout va bien, je souris avant tout.
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
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Slip de bain

The Shoes - Chemicals
The Shoes
"Chemicals"