Fever Ray - Radical Romantics

Une perle fine dans un écrin repoussant

Quand on découvre un genre musical, l’ordre normal des choses semble être de commencer par les noms les plus accueillants de la scène en question avant d’aller creuser plus en profondeur vers les artistes plus expérimentaux. De mon côté, il est rare que j’emprunte les itinéraires classiques, préférant plutôt privilégier les sentiers détournés et surtout laisser le hasard guider mes pas sur le chemin de la découverte.

Si le centre de gravité de mes goûts musicaux me ramène naturellement vers le milieu du rock et du metal, celui-ci tend à trouver une seconde force d’attraction de plus en plus marquée vers la pop indépendante et l'électro pop. Ces styles ont engouffré le plus gros de mon temps d’écoute depuis l’automne dernier et la découverte de Karin Park, artiste suédoise qui ouvrait pour A.A.Williams sur sa tournée européenne. Le coup de cœur fut tel qu’il ne passa pas une semaine depuis ces 6 derniers mois sans que j’écoute au moins un album de la compositrice.

Ce n’est qu’une fois la sortie de l’hiver arrivée qu’un·e autre artiste suédois·e est venue taper dans la main de Park pour prendre le relais de mes écoutes quotidiennes. Croisée rapidement grâce au partage par Nine Inch Nails du single Even It Out, auquel Trent Reznor et Atticus Ross ont participé à la production, Fever Ray était à ce moment passé·e sous mon radar. Il aura fallu attendre l’annonce du magazine New Noise et de sa couverture consacrée à l’alter ego de Karin Dreijer pour que je me décide à pleinement consacrer une écoute de son dernier album en date : Radical Romantics.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec sa pochette que l'on qualifiera de particulière, l’album ne cesse de hanter les nuits de mes yeux autant qu’il continue de faire rêver mes oreilles. Gavé de sonorités expérimentales à la précision cristalline, le disque est un bijou pour les tympans.

What They Call Us vous accueille avec des petites touches modulées par des variations de reverb. Le fond est silencieux jusqu’à ce que retentisse une alternance de nappes graves et aiguës pour vous envoyer dans de grands espaces éthérés. Les percussions tiennent plus du claquement sourd que de l’instrument organique et la voix chuchotée pitchée vers le bas de Dreijer vient caresser vos conduits auditifs pour vous plonger dans l’ambiance irréelle qui se dégage de l’univers de Fever Ray.

Sentiments d’autant plus présents lorsque la voix du·de la chanteur·euse n’est plus pitchée vers le bas mais vers le haut sur des titres venus véritablement d’une autre planète comme New Utensils. Toujours chuchoté, le chant n’y est plus réconfortant et devient même plutôt inquiétant. L’intégralité des sons qui l’entoure semble synthétique, surtout les notes graves de clavier grésillant rappelant ce que l’on peut trouver chez des artistes comme LCD Soundsystem.

L’intelligence du disque est de parfois venir insérer des instruments exotiques dans les compositions pour apporter de la diversité à l’ensemble. Avec ses percussions tribales et ses touches de ce qui ressemble à un steel pan, Kandy pare l’album de teintes tropicales. Ambiance que l’on retrouvera d’ailleurs un peu plus tard, dans une moindre mesure, sur Looking For A Ghost.

Le centre du disque s’avère plus dansant avec Even It Out. La patte de Trent Reznor et Atticus Ross est palpable sur ce morceau, qui détonne légèrement des autres, avec des backing tracks constamment bouchées par les épaisses nappes sonores caractéristiques du duo de producteurs. Carbone Dioxide invite encore plus franchement au remuage de postérieur avec son tempo plus rapide et sautillant. Le titre était tout indiqué pour devenir un single et fait une très bonne porte d’entrée pour découvrir l’univers de l'artiste.

North vient enfin calmer le jeu pour amorcer la pente descendante de l’album. Le tempo ralentit et nous voilà plongés dans un océan de réverb. Les percussions s’étalent dans le clapot d’un flot feutré où les différentes nappes sonores nous bercent agréablement. Les incursions de steel pan donnent de la hauteur au décor qui s’étend à perte de vue. Il faudra attendre le vers “There's no place I'd rather be than with you?” pour se laisser fondre sous la surface avec la répétition de ses derniers mots qui ne nous laissera plus revoir la lumière du jour jusqu’à la conclusion du morceau.

Tapping Finger et Bottom of the Ocean viennent compléter ce triptyque final pour une sortie d’album tout en douceur. Avec ses sept minutes uniquement composées de nappes et d’onomatopées, il est vrai que le dernier morceau aurait pu être raccourci mais la douceur de la production et le côté hypnotique de son concept compensent ce léger écart.

Malgré l’esthétique aussi perturbante et repoussante que peut arborer le projet Fever Ray à chacune de ses sorties, la musique du·de la Suédois·e est un cocon tant hypnotique qu’addictif duquel il est difficile de s’extirper. Le travail d’orfèvre appliqué sur la production en fait un bijou complexe sur lequel il est gratifiant de découvrir de nouvelles facettes chaque fois qu’on y jette une oreille. Si on ne peut pas en dire autant de son aspect visuel tant l'imagerie des clips et de la pochette fourmille de détails repoussants, espérons que cette forteresse de laideur ne protégera pas ce Radical Romantics du succès qui mérite de l'assiéger.

ClartéL'album est superbement produit, le son est de velour et vous donne envie de jouir, 5 sur 5. Si au contraire, l'album est produit avec des jouets toys'r'us; et donne envie à vos oreilles de saigner de s'autoflageller avec un port jack de 1.5m, alors 1 sur 5
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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Radical-Romantics
Fever Ray
"Radical Romantics"