[Voix d’Amos Williams] “Order 502 initiated. To those who hear this transmission, please understand we did this to ourselves. Us, humans. We are the program. We are the disaster. This is our end, and life as we know it will never speak the same. If this transmission is received, there is hope. Hold to this towards change. Let our story guide you into the new transition. The Future Sequence will now begin’
Comment parler d'un album faisant aisément partie de son top 10 personnel et cochant sans difficulté la majorité des cases des attentes qu'on a envers une œuvre tout en restant neutre ? Quand d'instinct on souhaite juste écrire en majuscule "ouais c'est trop bien c'est génial écoutez-le !", trouver la mesure et le recul se révèle être une tâche ardue et délicate. C'est pourtant ce qui va être tenté ici, The Parallax II : Future Sequence étant un diamant de metal progressif extrême fêtant ses 10 ans cette année. Seconde partie d'un diptyque aux imbrications complexes (certains passages de l'histoire se sont perdus dans d'autres albums), l'œuvre est immense, que ce soit dans sa longueur, sa composition ou dans ses concepts.
L'histoire de l'album a débuté en 2011 quand Between The Buried And Me changeait de label, passant de Victory Records à Metal Blade Records. Le groupe avait la même formation depuis un peu plus de 5 ans, trouvant ainsi une stabilité bienvenue après une période où les changements de line-up étaient fréquents. L'aspect musical gardait lui aussi une continuité après 2 albums concepts : le premier, Colors, avait propulsé le groupe sur les devant de la scène, tandis que le second, The Great Misdirect, avait confirmé la réussite de son prédécesseur bien qu'étant légèrement en deçà de sa qualité. Après plusieurs tournées avec des groupes renommés (Mastodon, Baroness, Devin Townsend entre autres) et ce changement de label, le quintet passait une étape supplémentaire en entamant un projet ambitieux : The Parallax. Il allait se composer d'un EP et d'un LP pour finalement atteindre une longueur totale d'1h40, et ce sans compter les parties disséminées parmi les albums précédents.
The Parallax I : Hypersleep Dialogues sorti en 2011 avait le but assumé de sortir rapidement afin de marquer le coup avec ce nouveau label. Le groupe prendrait ensuite le temps de concocter sa seconde partie. L'EP donnait de suite le ton avec une introduction démentielle, nous lâchant dans un espace aussi intrigant qu'énigmatique. Avec son piano menaçant et son orchestre inquiétant, Specular Reflection nous mettait directement face au vertige du vide spatial avant de nous jeter sans ménagement dans un tourbillon céleste de death metal bien agressif et véloce. Le metal des Caroliniens se voulait encore plus progressif qu’auparavant en adoptant un aspect "space" nouveau pour eux. Les deux autres titres, Augment Of Rebirth et Lunar Wilderness, n'étaient pas en reste pour que le groupe démontre tout son talent, si cela était encore nécessaire après Colors. Cette délicieuse introduction digérée, il ne restait plus qu’à attendre la sortie de sa suite.
Dans les Basement Studios de Caroline du Nord, Between The Buried And Me préparait sa prochaine concoction. À l’aide du producteur et ingé-son Jamie King, qui travaille avec le groupe depuis ses débuts, l'œuvre se formait, devenant peu à peu une montagne à la hauteur des ambitions des musiciens. Allait-elle dépasser Colors, monobloc d’une heure rapidement devenu le porte-étendard du quintet ? L’attention aux détails qui se devinait dans le single Astral Body mettait l’eau à la bouche à quelques jours de la sortie de l’album. On apprenait dans le même temps la présence d’invités discrets mais pas anodins : on pouvait lire dans les crédits entre autres Walter Fancourt, membre de Trioscapes (un groupe où joue le bassiste Dan Briggs), Maddox Giles, fils du chanteur Tommy Giles Rogers et Amos Williams, bassiste de TesseracT. Si un échange de bons procédés avec les Anglais aura lieu 1 an plus tard (le guitariste Paul Waggoner allant placer un beau solo sur la version instrumentale de Nocturne), le bassiste prêtait ici sa soyeuse voix pour deux passages : un sur ce qui deviendrait la piste Parallax, et un autre qui servirait d'introduction aux concerts présentant l'album dans son entièreté :
Cette bouteille envoyée dans l'océan du vide spatial portait un message regrettant la fin de notre monde mais espérant néanmoins une porte de sortie pour l'humanité. Pourtant, The Parallax II : Future Sequence débute par un morceau au titre nihiliste, Goodbye To Everything, contrastant totalement avec sa composition légère et positive menée à la guitare acoustique. On y découvre la fin de l'histoire de The Parallax, où deux personnes se résolvent à leur funeste sort. Choix audacieux, mais ce n'est ni le premier ni le dernier qui sera sur le disque.
Car en plus de proposer un album-concept long, Between The Buried And Me va en faire un à sa sauce : The Parallax II ne s'arrête jamais durant son écoute, seuls de rares moments plus calmes apparaissent. Par-dessus, le groupe va poser son style, à savoir placer avec une aisance et une fluidité déconcertante une quantité indécente de genres et sous-genres musicaux. Si on avait pu avoir de la country dans Colors, ce seront du surf-rock (Bloom), de l'ambient (Autumn, Parallax) ou encore de la musique de cirque (Extremophile Elite) que nous aurons le plaisir d'entendre. Tout ceci sans compter l'univers du metal qu'ils visitent sans aucune vergogne.
Et puisqu'on parle de Between The Buried And Me, les compositions et structures de titres sont dantesques. Mesures asymétriques, polyrythmes, technicité effarante, les cinq membres font ici preuve de tout leur talent sans que ce soit forcément indigeste. Comme l'a bien expliqué Tolol dans sa chronique, les leads de Paul Waggoner sont efficaces à souhait (Silent Flight Parliament), Blake Richardson est une pieuvre aussi rapide que subtile et technique derrière ses cymbales (Extremophile Elite), Dan Briggs multiplie les tours de forces avec sa Warwick 5 cordes (Melting City), Dustie Waring tient le rythme tel un rock avec sa guitare et enfin Tommy Rogers démontre une fois de plus son incroyable versatilité au chant. Comme sur Automata, Coma Ecliptic ou Colors II, The Parallax II a le droit à son morceau plus excentrique : Bloom. Bien sûr, le groupe ne s’éloigne pas trop de ses racines et propose souvent un bon gros death bourrin avec une distorsion bien acérée, allié à une vitesse exaltant l’aspect technique des riffs. Si vous avez réussi à appréhender Colors, cet album ne devrait pas vous dérouter : il perfectionne la recette du colosse de 2007, prenant ici un virage axé sur l'espace et les genres qui y sont associés.
Le cadre de The Parallax y est posé, preuve en est la pochette réalisée par Chandler Owen. On y voit deux planètes assez similaires, renvoyant à l'histoire - complexe - où interviennent deux personnages, qui n'en sont peut-être qu'un. Les musiciens s'y sont donnés à cœur joie, sautant sur l'occasion pour jouer avec ce thème. Déjà, les pédales sont myriades dans l’œuvre. La reverb, l'ambient et les échos sont légions, ces effets évoquant aisément le vide spatial. Ensuite, on retrouve parmi les genres proposés pendant l'album une pléthore de styles adéquats : le space rock et l'ambient en sont les exemples les plus évidents, mais ce ne sont pas les seuls. Les compositions y participent évidemment, les moments de flottement, de sensations d'immensité ou de ridiculement petit étant construites avec un savoir-faire certain.
Mais ce qui peut surprendre, c'est à quel point les mélodies, notamment les refrains, restent en tête et font mouche. Malgré les innombrables sections (on y reviendra) et leur vitesse de défilement, les parties chantées et de très nombreux passages sont marquants et s'inscrivent aisément dans votre mémoire. Que ce soit l'introduction monumentale d'Astral Body, la mélodie entraînante de Bloom ou le riff burné de Telos, BTBAM a façonné un album très efficace. Efficacité qui va se trouver être importante pour faire face à deux points qui peuvent gêner une appréciation pleine de leur travail.
Le premier, déjà évoqué plus haut, est l'énorme densité de The Parallax, et même de la discographie de BTBAM en général. Avoir une nouvelle idée toutes les minutes voire 30 secondes permet de créer des dynamiques novatrices et structurer de façon captivante un titre. Mais si c'est souvent superbe sur un morceau isolé, cela se complique légèrement quand on se rapporte à un album de 70 minutes. Si cela passe bien au début d'album avec des interludes comme Autumn, Parallax ou The Black Box, la dernière moitié peut se révéler très lourde pour qui n'y est pas habitué. C'est simple : de Telos à Goodbye To Everything Reprise, il n'y a aucune pause à part 20 maigres secondes d'ambient à la fin de Melting City. 40 minutes compactes et aussi intenses à digérer d'une traite n'est en rien aisé, malgré tout le talent du groupe pour gérer une construction fluide. Pour prendre mon exemple bien personnel, lors d'une écoute complète, je commence en général à saturer vers Melting City.
Le second point pouvant perturber la compréhension de l'histoire et sa complexité. Flashbacks, sauts dans le temps, sauts d'album en album (!), histoires parallèles (mais peut-être pas) et récit ardu, tout est là pour perdre un auditeur. Sans l'aide d'un dévoué fan démêlant tout ceci (merci à lui, son travail est ici), j'avoue que je serais encore comme ça face à l’œuvre des Américains :
Clairement, essayer de suivre l’histoire est déroutant, pouvant faire perdre le fil de l’écoute. Ce serait franchement dommage avec les trésors qui se cachent dans l’album.
Car au milieu de ces avalanches de riffs et de mélodies se tapit une richesse de détails participant à immerger l’auditeur. Félicitons ici le producteur Jamie King pour son travail sur The Parallax : le disque fourmille d’idées pour nous ancrer dans le cadre du groupe. On pense aux discrets glockenspiels planqués dans le mixage, ou aux nombreuses couches d’ambient souvent subtilement dissimulées.
Tout ceci mis bout à bout, The Parallax II : Future Sequence est un album à minima au niveau du monumental Colors, poussant le style du groupe dans ses limites sans jamais aller jusqu’au cliché ou la redite. Se servant du voyage interstellaire du héros, Between The Buried And Me explore avec lui de nouvelles contrées avec brio, apportant une fraîcheur à son style.
Avec ce nouvel ajout, l’album est au final un juste milieu entre Colors et Coma Ecliptic : on a le côté bourrin explosif, sans aucune limite et spectaculaire du premier ainsi que la partie plus mesurée et reposée, contemplative du second. Si ce n’est pas la meilleure porte d’entrée pour découvrir le groupe (je recommande plus Coma Ecliptic, voire Automata I), c’est par contre l’œuvre encapsulant le mieux ce que peut faire le groupe, étant le pont parfait entre la brutalité de ses débuts et la subtilité qu’il a acquis aujourd’hui.
Si vous lui donnez votre temps, The Parallax II vous offrira en retour une épopée inoubliable : porté par un mixage finement travaillé, des riffs et des mélodies à l’inventivité folle, cet album sera un bijou à explorer, tous ses recoins recelant d’innombrables trouvailles. L’histoire et la densité du disque ne pourront contrecarrer l’efficacité des compositions du groupe pour votre plus grand plaisir. Attachez donc votre ceinture de sécurité, et préparez vous à être catapultés vers l’infini.
Between The Buried And Me
"The Parallax II : Future Sequence"
- Date de sortie : 09/10/2012
- Label : Metal Blade Records
- Genres : Metal, Progressive Death Metal, Progressive Metal
- Origine : Etats-Unis
- Site : https://www.betweentheburiedandme.com/