CDV #02 - Trilogy - Plini

Carnet de voyage

Bienvenue dans ce carnet de voyage.

Comme le navigateur, le mélomane se cherche toujours de nouvelles destinations. Il tient le registre de ses meilleures expériences, il garde profondément enfoui dans sa mémoire le souvenir de ses plus beaux lieux d’égarement comme de ses plus crasseuses traversées.

Il met la liste à jour, la conservant précieusement en lui et chaque nouveau carnet est comme un mini-sanctuaire dédié à la mémoire de ces œuvres qui ont marqué son voyage.

Puisque la musique se partage, comme l’océan, je vous propose de vous reparler à travers ces carnets des albums ou des morceaux qui par malheur, par bonheur ou par hasard ont croisé ma route.

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  • Couverture : Kate Uraeva
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Je ne pouvais pas prédire que j’écouterais de la musique instrumentale un jour, encore moins que j’aimerais ça comme aujourd’hui. Seulement, il y a certains artistes qui sont capables de vous forcer la main. D’aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours fonctionné comme ça. Il y a un moment, un morceau, un riff, une mélodie qui me fait ressentir quelque chose d'incroyable et bien souvent s'ensuit le déclic.

Plini est arrivé dans mes oreilles par le biais d’une personne qui était un peu mon guide musical à l’époque. Il m’avait, à ce moment là, déjà fait découvrir certains des groupes phares de mon adolescence. Il s’agissait la plupart du temps de metal, de rock, de metal progressif et de cold wave. L’esprit alors en quête de nouveauté, je m’étais trouvé grâce à lui au sein d’un monde musical si vaste que ma tête n’en pouvait plus de tourner. Mon seul repère, comme toujours, c’était d’éprouver ce coup de foudre, ce déclic, une sensation qui m’aspire ensuite dans une écoute monomaniaque de l’artiste en question. Comme vous vous en doutez, c'est ce qui arriva lorsqu'un soir cet ami m'imposa une surprise de choix : l'écoute complète de l'EP Other Things de Plini. J'avais beau m'être déjà penché sur plein d'artistes grâce à lui, celui-là, je le sentais, avait quelque chose de particulier.

Pliniavecguitare.jpg Plini Rossler & sa guitare Strandberg.*

Comme pour tout déclic, ce n'est qu'avec du temps et du recul qu'on peut saisir la raison de sa venue. Ce que la plupart vivent au tout début de leur adolescence, je l’ai vécu à sa toute fin. Entré dans une nouvelle vie au début de mes années d’université, l’air était comme parfumé par l’ambition de la jeunesse. Tous les bienfaits de sortir d’une vie cadrée et d’en même temps s’entourer de personnes partageant la même passion dévorante pour la musique me sont tombés dessus. Je baignais dans le rêve, le respirais à plein poumons.

L’effervescence et l’esprit léger qui m’ont accompagnés à cette époque se sont trouvées parfaitement capturés dans la musique de ce jeunot Australien, à peine plus âgé que votre serviteur. La cavalcade de ces notes, leur poésie et le romantisme tout sensible que j’ai perçu à l’époque sont devenus des points de repères. Il me rappellent ce temps passé à parfois flâner durant une balade sur les versants d'une montagne, ou perdu à rêver en regardant les branches bruisser dans le vent. C’est ce que Plini inspire : un entêtement digne de la jeunesse (par ses envies de s’énerver en écrivant des morceaux bien velus techniquement) mais respectueux de la beauté dans les moments de pause.

Other Things

Cœur tendre de cette trilogie d’EP qui m’a conduit à adorer l’Australien, c’est précisément le registre des moments de repos qui est exploré ici. Commençant doucement la farandole par un innocent cliquetis sur le titre Heart, il est le plus court EP des trois. Un éveil parfait, celui par lequel il faut commencer. Il émerge doucement mais ne perd pas son temps. Le phrasé unique est manifeste. À l’époque, j’avais écouté du prog mais ça, c’était une autre mayonnaise assurément. Les images que cette musique sans parole ni message précis pouvaient évoquer m’avaient laissé proprement époustouflé. Il était là, le déclic. Il est venu lors de Selenium Forest. Je n’avais tout bonnement jamais entendu un truc pareil de toute mon existence. Sa magie enchanteresse me subjuguant, l’affaire était conclue. J’allais écouter le reste.

Sweet Nothings

Le plus savoureux. Il n’y a rien comme le plaisir de se le réécouter encore, et encore, et encore. J’avais eu le déclic sur Other Things d’abord, j’ai eu la confirmation qu’il n’était pas trompeur ici. Plus que les deux autres, il fait dans la nuance. C’est le plus sombre, le plus mélancolique. Le son scintille toujours par la présence des samples d’instruments à corde, de ces petites percussions frottées, comme sur son prédécesseur, mais le jeu de guitare est véritablement somptueux. Ce qui m’a saisi, c’est son sens de la gravité : il ne plane pas, il dégage quelque chose de plus mâture qu’Other Things. Une sorte de sagesse reposante comme celle qui s'acquiert à la fin d’une après-midi de soleil, se reposant pour admirer le soir tomber. Si ça sent le vécu, ce n’est pas un hasard. Il renferme également la pépite absolue qu’est Away, merveille pour tout bassiste féru de prouesses techniques. Cependant, vu les artistes à l’œuvre, pas de surprise, le niveau est très relevé malgré l’apparente légèreté qu’inspirent les morceaux. Sweet Nothings est le bijou précieux qui clôture de façon très attachante (en reprenant la première mélodie du premier EP) cette micro-épopée. De mon humble point de vue, c’est une des œuvres de Plini étant la mieux équilibrée.

The End Of Everything

Comme le titre l’indique, cet EP sent la prise de conscience et fait comprendre qu’une page se tourne. Il éclate plus fort que ses deux compagnons. Son intro est sa signature : une explosion, à l’instar de la popularité de son auteur auprès des amateurs de metal instrumental. Il a lui aussi une saveur particulière. J’ai évoqué un penchant pour le romantique du guitariste, il est même ici extrapolé devenant un véritable sens du dramatique. Il se lâche ! L'expressivité est poussée à 110 %. Il y a plus de tout, plus de bends, plus de rythme, plus d'énergie, plus de vitesse... Bref. Plini s'impose comme l'incontournable guitariste soliste de ce milieu de décennie. Heureusement, des touches de calme maintiennent l’équilibre appuyant sur l’aspect solennel de la fin de cette superbe trilogie.

PLINI.jpg source: Daddario.com

Plini fait typiquement partie des artistes pour lesquels j’ai voulu me lancer dans l’écriture de ces petits carnets de voyage. C’est pour moi la meilleure façon de faire honneur à ces trois petits bouts de rêve que d’écrire un peu les images qu’ils m’ont permis de graver à jamais dans mon esprit, et qu’ils sauront peut-être également créer en vous. La musique de chacune de ces pistes s’est nouée à ma façon de vivre, à de nombreux souvenirs (souvent extra-musicaux d’ailleurs). Elle est tissée d’une façon très dense, mais avec un soin qu’il est rare d'entendre. Pleine d’intention délicates et pures, elle m’a tout de même asséné de sacrées gifles et transmis un nombre incalculable de frissons. J’ai parlé de déclic au singulier, mais la vérité c’est qu’elle est bourrée de moments qui m’ont saisi de la même façon. C’est lié à la manière dont Plini compose. Il maximise l’expressivité de chaque mesure. Son phrasé unique et l’inclusion de ses influences jazzy lui permettant de tirer son épingle du jeu, son succès a été remarquable lors de la sortie de cette Trilogie. Ce jeu m’a ensuite amené à apprécier de plus en plus certaines de ses influences, me destinant plus tard à découvrir du jazz, du vrai, cimentant l’importance de cette trilogie sur ma route.

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Plini
"Trilogy: Other Things, Sweet Nothings, The End Of Everything"