Le Passage #06 : Deep Purple - Speed King

Apocalypse.

Au fil de nos écoutes, certains albums et certaines pistes parviennent à capter notre attention. Des morceaux qui reviennent régulièrement dans nos playlists, nos oreilles, pour combler les moments creux ou tout simplement nous faire du bien. Dans Le Passage, nous revenons sur ces chansons qui rentrent dans notre panthéon, grâce à une partie qui les fait surnager au-dessus des autres.

Deep Purple sont des géants du rock. Reconnus par la critique et le public, leur influence est gigantesque, ne serait-ce que pour le riff de Smoke On The Water, passage d'initiation pour tout guitariste débutant. Les Anglais ont aussi fait partie de la découverte du rock pour beaucoup, comme pour moi (avec KISS, AC/DC ou Thin Lizzy). Leur histoire et leur succès se sont notamment bâtis grâce à In Rock, Machine Head... Et un live qu'ils ne voulaient pas sortir, Made In Japan.

Pour une fois, je vais dire du bien d'une maison d'édition. Car sans eux et leur envie de faire de la publicité au quintet - ainsi qu'un peu d'argent dans le même temps - cet album live n'existerait pas. Grâce à eux, le monde a pu découvrir les performances incroyables des musiciens, prouesses telles que Made In Japan est toujours cité parmi les plus grands albums live. Les Britanniques y subliment leurs morceaux d'improvisations dantesques et renversantes pour un résultat tout bonnement superbe et intemporel, empli d'une énergie incroyable.

Mais le morceau où se trouve le Passage d'aujourd'hui ne se trouve pas sur Made In Japan. Pas sur sa version originale en tout cas, puisqu'il aura fallu attendre 21 ans pour le voir inscrit sur la boîte d'un CD. Parmi les trois concerts japonais où on avait pioché pour monter l'album, Speed King n'avait pas été choisi jusqu'à une réédition en trois CD en 1993 (1 pour chaque concert). Le morceau s'est également retrouvé sur une réédition de 1998 un peu "le cul entre deux chaises" où l'on a ajouté Black Night, Speed King et Lucille à l'édition originale. Version grâce à laquelle j'ai découvert le morceau, qui est donc une chanson tirée d'une version bonus d'un album qui n'aurait pas dû voir le jour. Une chance de la connaître et de pouvoir vous la faire découvrir ici.

Pour le contexte, Speed King a été joué lors du dernier concert à Tokyo le 17 Août 1972, en clôture du live. À ce moment-là, le public a vu et entendu un quart d'heure d'improvisation sur Space Truckin' et une version plus qu'énergique de Black Night juste avant que le morceau ne débute. Autant dire que la foule est chaude, tout comme le groupe. Alors que le second refrain vient de se terminer et que le pont débute, Ian Gillan commence à chauffer les spectateurs déjà bien excités. Le groupe le suit, avec notamment Ritchie Blackmore et Jon Lord jouant les mélodies dansantes du pont du morceau. Le chanteur s'amuse même à suivre la guitare, menant les japonais au point de basculement.

Piano fire Jon Lord lors du concert [1972, images d'archives]

Nous sommes à 3:44, et nous allons passer dans une autre dimension. Deep Purple entame une nouvelle improvisation, bien lancée par le pont. Sauf que tout part dans tous les sens, la salle chavirant dans une sorte d'extase indescriptible. Il est dommage de ne pas avoir eu de caméra car ce qui se passe dans nos oreilles est incompréhensible. On pourrait parler de bordel incommensurable où tout explose et cherche à faire plus de bruit que le reste. Ian Paice tabasse ses cymbales, Ritchie part dans un délire bruitiste absolument délirant alors que Jon allume son orgue Hammond. Le public fout un bazar monstrueux, sûrement harangué par Ian Gillan. En tant qu'auditeur, on se retrouve dans une apocalypse absolument jouissive où tout fait n'importe quoi en même temps. Rien ne fait sens et on se fait balader, balayer par une ambiance et un capharnaüm incomparables et selon moi jamais égalés depuis.

Malgré tout à 5:11, moment où Paice retrouve ses esprits, le groupe revient et le morceau peut finir en apothéose, Deep Purple laissant une foule en liesse à la fin de son concert. Mais quel passage ! Ces 87 secondes respirent, hument, sentent un chaos absolu où le lâcher-prise du groupe a immédiatement possédé le public. Sur la photo qui illustre cet article, vous pouvez voir les gens en rang, assis devant la scène. Je ne peux imaginer une seule seconde que devant ce court mais si extrême passage, le public soit resté sur sa chaise. Je me représente au contraire une foule compacte et en délire, à la limite du pogo général, envahie par une brève mais inarrêtable folie.

Les mots me manquent pour l'exaltation et la chair de poule qui me prennent à chaque écoute de ce passage. Je suis pourtant passé par Synonymo, mais rien n'y fait : ces 87 secondes sont un typhon, une spirale à laquelle je ne peux me soustraire. Cette sensation, c'est ce que je recherche bien souvent en concert. Laisser de côté mon introversion et juste profiter au maximum d'un moment incroyablement festif, emporté par l'artiste que je suis venu voir. La plupart des enregistrements n'auront jamais cet aura. Ce passage de Speed King, qui a maintenant 50 ans, le symbolise dans toute sa beauté et son énergie. À chaque foutue écoute.

Deep Purple - Made In Japan
Deep Purple
"Made In Japan"