Le Passage #17 : Audioslave - Wide Awake

Un cri, puis, plus rien.

Au fil de nos écoutes, certains albums et certaines pistes parviennent à capter notre attention. Des morceaux qui reviennent régulièrement dans nos playlists, nos oreilles, pour combler les moments creux ou tout simplement nous faire du bien. Dans Le Passage, nous revenons sur ces chansons qui rentrent dans notre panthéon, grâce à une partie qui les font surnager au-dessus des autres.

S’inspirer de l’actualité pour composer une chanson est un pari à double tranchant. C’est l’assurance de toucher une partie du public concernée par son sujet ou d’attirer l’attention sur celui-ci. Mais le revers de la médaille est que cette façon de faire inscrit le morceau dans une temporalité vouée à s’estomper pour laisser la place à une autre.

Composé en réponse à la calamiteuse gestion par les autorités états-uniennes des ravages causés par l’ouragan Katrina en 2005, le morceau Wide Awake paraît en 2006, sur le troisième et dernier album d’Audioslave (supergroupe formé par la partie instrumentale de Rage Against The Machine et du regretté Chris Cornell au chant). Bien que rattachées initialement à cet événement particulier, les paroles sont suffisamment évasives pour trouver écho au travers d’autres épisodes dramatiques incluant l’inaction ou l’incompétence de la classe dirigeante.

Et malheureusement, ces dernières années ne cessent de nous abreuver en situations tragiques que nos gouvernants préfèrent esquiver, en bottant systématiquement en touche avec des polémiques ridicules sans cesse rallumées, souvent au dépens de minorités stigmatisées. Un aveuglement vertement vilipendé sur le refrain opposant les victimes qui n’ont eu d’autre choix que d’affronter la catastrophe et les autorités loin du danger, qui sont trop longtemps restées passives.

So come pull the sheet over my eyes.
So I can sleep tonight despite what I've seen today.
I've found you guilty of a crime.
Of sleeping at a time when you should have been wide awake.

Le titre vient marquer une charnière sur l’album, placé après Jewel of the Summertime, un morceau sautillant et délicieusement funky. Wide Awake tranche brusquement avec son instrumentation mélancolique et un chant bien plus en retrait. La chanson arbore une structure très classique avec une alternance couplet-refrain, solo, puis un dernier retour sur le refrain quand soudain, à 3:53 …

Un cri

Un cri déchirant qui s’arrache du fond des âges comme de la gorge de Chris Cornell. Un cri à la limite de faire saturer autant ses cordes vocales que le banc de mixage. Retentissant encore 17 ans plus tard, ce hurlement de rage m’arrache toujours autant les tripes que le cœur chaque fois que le morceau passe dans mes oreilles. Teinté aujourd’hui d’une douleur encore plus profonde quand on sait le destin funeste qui nous a dérobé son auteur. Si Wide Awake a le malheur de passer en fond dans un contexte qui ne m’est pas propice à son écoute, ce passage me ramènera toujours instantanément à lui et il me faudra toujours quelques secondes avant de replonger dans l’ambiance à laquelle il m’a extirpé.

Là où il est simple de détourner les yeux pour refuser de voir la vérité en face, notre ouïe est ainsi faite qu’il est impossible de l’occulter totalement. Et ce cri final est si perçant qu’il en devient impossible à ignorer. Si on y porte attention, on peut même se rendre compte qu’il est légèrement sous-mixé par rapport à la guitare de Morello, mais son impact est si puissant que même en retrait, c’est lui qui vient accaparer toute l’attention. Transperçant de part en part le plus bruyant des brouhaha, il est un rappel qu’il est impossible de fuir ses responsabilités. Et que devant les désastres qui nous entourent, même si c’est pénible, il est crucial de rester éveillé.

Audioslave-Revelations
Audioslave
"Revelations"