Nine Inch Nails - Hesitation Marks

Une décennie après, il revient vous hanter

Peu importe l’ampleur du succès décroché, l’histoire d’un groupe contient toujours un moment de creux ou au moins de remise en question. Ainsi, lorsque la carrière d’une formation s’étale sur plus de trois décennies, il devient inévitable que l’ensemble de sa discographie ne fasse pas consensus. D’autant plus lorsqu’il y a un refus manifeste de rester campé sur ses appuis et une volonté de toujours se renouveler. Il y a tout juste dix ans, paraissait Hesitation Marks de Nine Inch Nails. S’il n’a pas eu le retentissement d’un The Downward Spiral, d’un The Fragile ou d’un With Teeth, il n’est pas dénué d’intérêt pour autant.

Après une décennie 2000 particulièrement chargée pour le groupe, avec quand même quatre albums au compteur, la direction artistique évolue vers quelque chose d’un peu plus sage. Les sonorités électroniques prennent une place de plus en plus importante au détriment de l’identité metal industriel originelle, celle-ci ayant progressivement évolué vers une énergie plus proche du rock alternatif.

Mais à quoi doit-on réellement s’attendre pour ce halo 28 (les sorties de Nine Inch Nails sont numérotées en halos) ? Une première piste qui peut nous éclairer est le retour de Russel Mills concernant le travail graphique de l’album. Si son esthétique vous dit quelque chose, c’est normal : tous les artworks de l’ère The Downward Spiral sont aussi de son œuvre. Toutefois, n’espérez pas retrouver ici la fureur de l’album susnommé; à l’échelle de la discographie du groupe, Hesitation Marks fait plutôt figure de négatif de celui-ci.

Mais il ne s’agit pas du seul artiste extérieur à la formation qui recroise son chemin à l’occasion de cet album. Car après que Nine Inch Nails ait composé The Perfect Drug pour la bande originale du film Lost Highway de David Lynch en 1997, c’est ce dernier qui s’est chargé de réaliser le clip de Came Back Haunted, premier single dévoilé. Un morceau qui annonce d’ailleurs un gimmick de cet album : la construction de chansons autour d’un motif entêtant. Ces compositions à base de boucles enrichies de divers éléments comme des nappes sonores et un jeu sur la richesse des percussions, on va les retrouver sur des morceaux comme Disappointed, Satellite, Running ou encore Copy of A.

Mais la plus grande force du disque se situe dans le trio Find My Way, All Time Low, Disappointed. Ces trois titres présentent la similarité de réserver leur seconde moitié à la mise en place d’une atmosphère sombre mais immersive. Les percussions se font discrètes tandis que les nappes et la réverb se font massives. Find My Way nous laisse ainsi flottant et désorienté, bercé par le flot du refrain chuchoté en boucle par Reznor. L’obsédante mélodie de synthé sur All Time Low donne à ce moment suspendu des allures de trip halluciné, duquel il est impossible de sortir tant que les perverses substances qui le provoquent ne sont pas évacuées. Quant aux nappes de cordes de Disappointed, elles illustrent la terrible inertie avec laquelle le monde évolue dans une direction qui ne nous convient pas et à laquelle nous contribuons pourtant d’une manière ou d'une autre.

Pour ce qui est des titres à la structure plus conventionnelle, et plus proche de ce à quoi nous a habitué le Nine Inch Nails de cette période, on notera I Would for You et surtout Various Methods of Escape comme deux excellents crus. Les lignes de chant directes et fédératrices, combinées à de simples suites d'accords jouées par un matelas de cordes réverbérées, ne tardent pas à s’imprimer profondément dans votre mémoire. À l’image des paroles évoquant les erreurs passées nous revenant constamment en tête, ce sont les refrains de ces chansons qui viendront vite en faire de même par la suite. On soulignera également le formidable pont de Various Methods of Escape, joué dans une apnée vous plongeant tout au fond d’une piscine de feutre. Celui-ci s’ouvre sur la plus libératrice des respirations quand s’ôte enfin le filtre, délivrant ainsi un des titres les plus sous-estimés de Nine Inch Nails.

Après avoir évoqué un peu plus haut Hesitation Marks comme un négatif de The Downward Spiral, leurs conclusions se renvoient, d’une certaine manière, un reflet deformé l’une de l’autre. Là où Hurt dépeignait une âme désespérée forçant sa propre fin, While I’m Still Here présente un esprit apaisé, prêt à attendre patiemment celle-ci. Cette fois, le protagoniste a fait la paix avec ses démons, son regard n’est plus porté sur sa propre chute, mais sur le fait de profiter des derniers instants qu’il lui reste, debout, avec son entourage. Ici, pas de violent coup de feu métaphorique pour symboliser la mort, celle-ci n’est même pas présente sur le morceau, mais réservée à Black Noise dans une progressive montée de sinistres cordes frottées appelant vers les derniers abysses.

Hesitation Marks marque un tournant plus que stylistique dans la carrière de Nine Inch Nails, car celui-ci s’effectue au niveau du format de leurs sorties. En effet, l’album fête ses dix ans et c’est encore à ce jour le dernier long format non instrumental du groupe. Loin d’être resté inactif depuis, une trilogie de disques plus concis est sortie entre 2016 et 2018, et deux suites aux instrumentaux Ghosts I-IV sont parues pendant le premier confinement en mars 2020. Trent Reznor et Atticus Ross, les deux têtes pensantes du groupe, ont surtout intensifié leur activité sur la compositions de bandes originales qui seront d’ailleurs de nombreuses fois récompensées.

S’il a pu rebuter plus d’un fan à son époque, par l’absence de contraste chant hurlé/chuchoté caractéristique de Nine Inch Nails, ce côté plus calme est clairement l’empreinte d’Hesitation Marks. L'agressivité a laissé la place à une atmosphère plus feutrée et accessible au point de flirter parfois avec la trip-hop. Maintenant que le recul est pris et que les teintes les plus apaisées ont connu des suites (on pense à l’EP Add Violence), la présence de cet album trouve tout son sens dans la discographie de Nine Inch Nails. Exempt des cris rageurs de Reznor qui pouvaient repousser les auditeurs non avertis hors de l’univers du groupe, le disque est clairement le plus accueillant pour qui voudrait y pénétrer. Et à ceux qui pensaient lors de sa sortie qu’il ne ferait pas date, sachez qu’il a fini par apposer sa marque, sans hésitation.

ViolenceIndice de la violence de l'album. 1/5 : l'album est doux et vous susurre des paroles réconfortantes. 5/5 : l'album vous hurle dessus et vous insulte en bosniaque sous-titré slovaque
FluiditéA quel point l'album est digeste sur la durée de l'écoute. 1/5 : Chaque note parait plus longue que la précédente. Cela peut être une bonne ou une mauvaise chose 5/5 : L'album s'écoute facilement, le temps passe vite
VélocitéIndice sur la véhémence de la musique 1/5 : tranquille, on est en eaux calmes, l'écoute est paisible 5/5 : musique extrêmement énergique, l'auditeur non averti aura intérêt à bien s'accrocher
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
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Nine Inch Nails - Hesitation Marks
Nine Inch Nails
"Hesitation Marks"