Au regret de ceux qui le connaissent déjà, Rezn est un groupe encore peu connu. Si on se fie aux chiffres, les morceaux du quatuor basé à Chicago dépassent difficilement la dizaine de milliers de vues ou d'écoutes sur les plateformes de streaming. Pourtant, de leur premier album Let It Burn jusqu'au récent split avec Lume, la qualité a toujours été au rendez-vous. Sorti le 1er Octobre 2020, leur troisième album Chaotic Divine peut-il ouvrir une porte vers un public plus important pour la bande de l'Illinois ?
Leur précédent opus Calm Black Water (2018) avait été une surprise réjouissante associant un doom pachydermique avec une dose de psychédélisme bienvenue et rafraîchissante. Cela fut possible grâce à un quatrième musicien aux synthés et au saxophone pour dépasser le cadre de la formation classique du power-trio cher au stoner. Si Rezn ont gardé les ingrédients de leur recette si efficace pour cette nouvelle concoction, ils ont su trouver d'excellents additifs permettant d'explorer des saveurs qui nous étaient alors inconnues.
La basse de Phil Cangelosi et la batterie de Patrick Dunn servent de fondation solide pour installer l’atmosphère si particulière de Chaotic Divine. Les notes claires de la guitare de Rob McWilliams vous font visiter divers lieux de cette terre inhospitalière tandis que celles plus distordues et fuzzées vous font ressentir les dangers qui en émanent. Le facteur prépondérant à cette immersion demeure le clavier et ses effets de Spencer Ouellette, qui imprègne le disque d'une touche d'inconnu menaçant, comme si un piège vous attendait à chaque changement de piste.
La mise en avant des synthés / effets sur Chaotic Divine est une petite pincée de sel faisant exploser le psychédélisme auparavant dilué avec le doom massif des américains. Mais si les 25 premières minutes sont un plat déjà connu et apprécié, pour leur suite le quatuor s'amuse à disséminer diverses touches, morceau par morceau, permettant d'explorer d'autres aspects de leur musique. Que ce soit de la vitesse (Scarab), de la mélancolie (Optic echo, The Still Center) ou de la contemplation (Forever Time), le groupe disperse de magnifiques épices relevant l'attrait pour leur musique déjà fort appétissante.
Parmi ces exhausteurs de goûts, on trouve des instruments du Moyen et de l'Extrême Orient : de l'Oud, du Baglama, du bâton de pluie ou encore de la Sitar. Ils sont pour la plupart bien dissimulés mais on sent bien le voyage qu'ils nous font parcourir, notamment sur Emerging ou Mother. L'additif le plus marquant reste néanmoins cette tristesse parfois empreinte de désolation ou d'amertume qui traverse l'album. Calm Black Water n'avait pas du tout cette dimension plus sombre qui ajoute de la subtilité au troisième album de Rezn, le précédent étant plus uniforme.
Cela se ressent aussi dans les paroles qui mentionnent toutes des peurs ou des événements trop grands pour l'explorateur de cette heure de musique. Le sort de la personne s'aventurant dans les microsillons savamment tracés est bien souvent funeste. Elle se retrouve au mieux perdue en terrain hostile, au pire s'agenouillant devant la faucheuse. Le groupe laisse tout de même des vers aux interprétations ouvertes : on ne sait pas véritablement si le sujet va passer vers le trépas ou vers un autre univers. On ne peut pas deviner où mènera la porte s'ouvrant devant nous.
Pour incorporer ces nouveautés, le quatuor a aussi innové dans la composition des morceaux, comme par exemple en incluant deux instrumentales Clear I & II pour renforcer l'immersion. La première pourrait aisément être inclue dans la bande son d'un film de space-horror avec sa tension palpable, alors que la seconde nous prépare à la conclusion de l'album. Les chicagoans nous y prennent en traître, montant un long build-up ne s'achevant jamais et terminant l'album sur une fin abrupte, terriblement frustrante après un si beau voyage. On pense aussi à la seconde partie ambient de Mother / Forever Time, errance au milieu d'une plaine inhabitée, ou encore à Scarab. Pour cette piste, Rezn augmente sensiblement les BPM pour tout envoyer, libérer l'énergie retenue jusqu'ici par l'auditeur.
Malgré tous ces ajouts, le quatuor n'a pas oublié le ciment maintenant ensemble ses influences doom, stoner et psyché, à savoir l'immersion dans l'univers qu'ils sculptent sur chaque opus. L’album vous emporte dès les premières secondes de son ouverture vers la planète si bien illustrée sur la pochette d'Allyson Medeiros. L'artiste, collaborateur de toujours du groupe, présente ici un astre où des structures proches de l'univers d'Alien dominent un paysage où peu de lumière transperce les nuages.
Chaotic Divine est un album qui vous embarque d’entrée vers son univers extraterrestre mais nécessitera plusieurs écoutes pour découvrir tous les secrets qui s’y cachent. Rezn a sorti ses meilleurs ustensiles pour nous préparer un repas qui saura ravir toutes les bouches attirées par l’odeur des notes. Que ce soit son entrée Emerging nous mettant en appétit, sa délicieuse salade Garden Green ou encore son dessert The Still Center nous laissant repus mais désireux d’en redévorer. Les quatre membres ont réussi un superbe disque qui devrait les placer tout en haut de la liste des groupes les plus intéressants de la scène stoner, c’est en tout cas tout ce qu'on leur souhaite.
Rezn
"Chaotic Divine"
- Date de sortie : 01/10/2020
- Label : Autoproduit
- Genres : Psych, Ambient, Doom, Stoner
- Origine : Etats-Unis
- Site : https://www.rezn.band/