The Ocean Collective - Phanerozoic II : Mesozoic | Cenozoic

Ultime voyage dans les nappes de la Terre.

Lorsqu'on se lance dans de grandes odyssées, le plus dur reste la dernière ligne droite. La conclusion est le point culminant de tout récit. Après tout, ce sera le dernier souvenir qu'on aura de votre histoire, celle laissant la note finale qu'on ne pourra effacer de vos mémoires. En 2007, le collectif berlinois The Ocean sort Precambrian, œuvre tourmentée et abrasive qui démarrera le pari fou servant de fil rouge pour tout le reste de la discographie du groupe : raconter l'histoire de la Terre au travers des yeux de l'Humanité en utilisant un post-metal progressif. Dix ans après ce premier fait d'armes, ils annoncent la conclusion avec une trilogie d'albums se centrant sur l'éon du Phanérozoïque. Son objectif principal était de combler le vide laissé entre Precambrian et Heliocentric/Anthropocentric, ces albums étant centrés sur l'évolution spirituelle de l'espèce humaine. Le lien manquant de la grande Histoire que développe The Ocean devait donc s'intéresser à toute cette période cruciale pour la vie terrestre, de l'apparition des vertébrés et autres animaux complexes jusqu'aux dinosaures et leur extinction pour finir sur les premiers homo-sapiens.

La première partie fut un album de post-metal ayant perdu toute once d'agressivité ardente pour se concentrer sur les ambiances et l'efficacité de ses compositions. Phanerozoic I : Palaeozoic avait convaincu tout le monde lors de sa sortie fin 2018 (nous l'avons d'ailleurs chroniqué ici). Avec une telle réussite, l'achèvement de cette aventure était très attendue. Chaque album devait s'intéresser à une des trois ères du Phanérozoïque, mais peu avant la sortie de l'opus consacré au Paléozoïque, le collectif a pris la décision de regrouper le Mésozoïque et le Cénozoïque sur un seul disque, scellant un nouveau diptyque dans sa carrière. Dès la sortie du premier album, le groupe avait annoncé une attente de 2 ans entre les deux disques. La fin abrupte du premier chapitre sur Permian : The Great Dying n'aidant pas à combler notre patience, la sortie de Phanerozoic II : Mesozoic | Cenozoic fut accompagnée d'un certain engouement de la communauté. On attendait tous de voir comment les Allemands, qui commençaient à acquérir une très belle réputation, allaient conclure leur plus grand projet voguant aux travers des nappes géologiques de notre planète.

Le Mésozoïque, anciennement appelé Ère secondaire ou Ère des Reptiles, est une ère géologique au cours de laquelle apparaissent de nombreuses espèces de mammifères et de dinosaures. Celle-ci a pris fin il y a 66 millions d'années.

De lointaines guitares emplies de reverb lancent Triassic, ainsi que cette première partie du disque consacrée au Mésozoïque, époque connue pour ses jungles luxuriantes et ses imposants reptiles. Cependant, le groupe va utiliser des arpèges orientalisants, changeant le décor initial pour un désert aride, appuyé par le refrain de la chanson. On comprend alors que The Ocean est toujours dans cette volonté de nous faire voyager avec eux dans ces paysages inconnus de notre lointain passé. Bien que moins explosif que l'ouverture de Phanerozoic I avec Cambrian II : Eternal Reccurence, on reste tout de même en terrain ultra connu avec un post-metal très progressif rallongeant les notes pour créer des ambiances uniques, cette fois-ci accompagnées d'instruments arméniens, en lien direct avec les notes orientales entendues le long de la chanson.

Et si Triassic était la mise en bouche, le plat de résistance de l'album arrive tout de suite après, ne nous laissant aucune pause de digestion possible. Au menu, c'est une ambitieuse et tumultueuse piste de 13 minutes (le morceau le plus long de la carrière de The Ocean au passage) qui arrive sur la table avec Jurassic | Cretaceous. Ici, la musique est jouée avec une efficacité maximale où, dès sa découverte, les riffs de guitare et les refrains scandés par Loïc Rossetti nous rentrent immédiatement en tête, classant de facto le morceau comme le classique du disque malgré sa longueur. Les claviers arrivent au milieu de la piste pour reprendre les devants et scindent l'écoute en deux, ainsi les passages plus atmosphériques permettent de distinguer les époques abordées dans le morceau. Les premières minutes décrivent le changement climatique du Jurassique portées avec brio par une mélodie fédératrice ainsi qu'un jeu de batterie versatile incluant des notes tribales disséminées ça et là : une grosse influence de Tool se fait immédiatement sentir.

Le Crétacé commence dans une ambiance plus ténébreuse et déprimante, forcément marquée par la grande extinction des dinosaures que l'on connait. L'apocalypse est contée non pas par Loïc mais par Jonas Renkse, chanteur de Katatonia et ami du groupe qui avait déjà apporté son talent sur Devonian : Nascent dans le précédent opus. Avec un timbre de voix si mystérieux et réconfortant à la fois, on ne pouvait pas rêver de meilleur orateur pour raconter l'histoire de la disparition des terribles lézards. Après quelques minutes de contexte reviennent les guitares et les refrains fédérateurs, les paroles de la dernière partie du morceau faisant une nouvelle fois un parallèle entre l'Humanité et l'Histoire de la Terre. Nous rappelant que même avec un règne de plus de 140 millions d'années, les grands reptiles ont disparu en un temps semblable à un clignement d'œil à l'échelle géologique. Et nous sommes destinés à la même finalité.

Si l'on regroupe ces 20 premières minutes d'écoute de Phanerozoic II, nous sommes devant l'aboutissement de la célèbre recette du post-metal de The Ocean. Ces deux premières pistes consacrées au Mésozoïque sont des chansons à rudement conseiller pour n'importe quel auditeur en quête de refrains puissants, de notes percutantes et d'un univers mélodique fascinant.

Cependant, avec un excellent commencement, il ne faut pas s'attendre à écouter la même recette sur tout le reste du disque. Le groupe avait prévenu ses fans à l'annonce de sa suite en juillet; Phanerozoic II sera un album plus expérimental que le précédent. Après le déferlement du Mésozoïque, c'est le Cénozoïque, la dernière ère de l'Histoire de la Terre qui va regrouper ces expérimentations.

Le Cénozoïque est l'ère géologique actuellement en cours. Elle est marquée par la dominance des mammifères sur le règne animal. Son nom vient du grec signifiant "Nouvelle Vie"

Cette seconde partie s'ouvre sur Palaeocene, une chanson beaucoup plus abrasive, laissant place à des parpaings à 6 cordes accompagnés par la voix de Tomas Liljedahl, chanteur du défunt groupe de Post-Hardcore suédois Breach, dont Robin Staps, le guitariste et parolier de The Ocean, est un immense fan. Pour une sonorité plus expérimentale, la mise en bouche est trompeuse, celle-ci étant dans la continuité de ce que proposait le groupe sur les deux pistes précédentes.

Mais il ne faut pas pour autant prendre cette ouverture du Cénozoïque comme modèle. Les atmosphères abrasives se feront plus discrètes sur le reste de l'album. Cette chanson sert simplement à poser la scène du Paléocène, où la biosphère se remettait de la crise du Crétacé qui avait vu la disparition des dinosaures. Le reste de l'album sera plus émotif, dans une constante ambiance plus sombre et froide. C'est ce que prouve directement la suite avec Eocene, reprenenant un riff entendu dans Jurassic | Cretaceous, mais avec un climat empli de reverb et la voix de Loïc cette fois-ci plus posée, ne poussant aucun cri, laissant les devants aux claviers pour une ambiance plus nébuleuse et qui trouvera sa quintessence avec l'instrumentale Oligocene.

Avec ce morceau, les amateurs de grosses guitares vont être quelque peu déboussolés. Les claviers fondateurs du son aquatique si particulier de The Ocean vont permettre de façonner une pièce singulière mettant fin à l'agressivité du début du disque. Une batterie jouée mécaniquement et quelques notes de guitares fournissent une sonorité ambiante, permettant de créer l'allégorie avec les évènements de cette époque, beaucoup plus calme pour la vie terrestre. Celle-ci se développa plus paisiblement, marquée par un refroidissement global provoqué par diverses ères glacières durant ces derniers millions d'années. Le climat beaucoup plus froid explique sans doute ces expérimentations sonores, plus posées et retenues. La suite avec Miocene | Pliocene continue d'explorer ces environnements paisibles et quiets, mais ce qui marquera cette production frigide, c'est l'avant-dernière piste de l'album : Pleistocene. Commençant avec un synthétiseur sonnant tel un signal d'alarme, le ton est lancé lorsqu'arrivé à la moitié de la piste débarque une double pédale agressive et embarque Loïc sur les terrains habituels de son chant extrême, mais cette fois-ci, ses performances vont chercher dans les aigus perçants via un scream empruntant aux sonorités du black-metal .

Toute la fin de Pleistocene offre un nouvel instant de brutalité, mais pour remémorer les températures plus basses de l'époque, quoi de mieux que d'emprunter les techniques d'un genre profondément marqué par la dureté des glaces de l'Hiver de ses pays d'origine ? Réveiller l'auditeur après une quinzaine de minutes ambiantes avec la noirceur du black metal est une très bonne idée et permet d'explorer tous les univers possibles. Surtout quand le groupe annonçait avec Palaeocene des expérimentations plus présentes sur le Cénozoïque.

La fin s'amorce avec Holocene, l'époque géologique dans laquelle nous vivons. Marquée par une nouvelle extinction de la biosphère, c'est l'occasion pour les musiciens de proposer des sonorités plus menaçantes, que certains affilieront à Nine Inch Nails. Un patchwork d'idées alternant entre claviers et violons avec en fond des paroles à la limite du spoken word reprenant des refrains des précédents morceaux, celui de Triassic étant le plus récurrent. Servant de réflexion sur toute l'aventure que l'on vient de passer aux côtés du groupe, c'est le point final d'un magistral album pour The Ocean et la conclusion parfaite à cette odysée que le groupe avait entrepris il y a maintenant 13 ans.

Un album excellent certes, mais qui n'aura pas fait autant l'unanimité que son prédécesseur. Pourtant, il ne faut pas oublier les avertissements que le groupe avait lancé. Si Phanerozoic I se voulait être un condensé d'efficacité et avait totalement réussi cet objectif, Phanerozoic II est marqué par une volonté d'évolution de la musique du collectif. En effet, sur cet album on ne retrouve pas que Robin Staps comme tête pensante du projet. Un autre nom s'est démarqué dans l'écriture de cet album, celui de Paul Siedel, batteur du groupe, s'étant occupé des parties plus électroniques et calmes du disque. C'est son nom que l'on retrouvera derrière la composition de la planante piste Oligocene par exemple. Il a aussi eu l'idée de développer son jeu de batterie pour inclure des sonorités tribales en lien avec les instruments orientaux disséminés dans notre écoute, comme sur Jurassic | Cretaceous.

Tout cela fait que Paul est devenu la nouvelle attraction du groupe, de par son talent de batteur et de compositeur quand on en vient au terrain expérimental. Et c'est bien cela que l'on doit retenir de ce nouveau disque, bien qu'ayant souffert d'avoir sorti les morceaux les plus efficaces en premier pour sa promotion. Il ne faut pas mettre de côté le reste de l'album, constituant un ensemble hétérogène. Même si moins directe que Phanerozoic I, cette suite fait partie de cette catégorie d'albums qui monte en nous écoute après écoute, jusqu'à ce qu'on ne puisse plus se passer de ses morceaux, où les paroles se retrouvent ancrées dans notre esprit.

Depuis son commencement en 2007 avec un metal volcanique sur Precambrian, le groupe s'est avancé vers des contrées plus progressives et brumeuses au fil de son histoire. On ressent une certaine évolution vers des sonorités plus pesantes tout en gardant la recette d'origine inchangée. Et c'est ça qu'il faut retenir de Phanerozoic II : Mesozoic | Cenozoic. Encore plus qu'un très bon album qui aura marqué les sorties de 2020, il faut le voir comme l'apothéose de la Grande Histoire qu'a conté le collectif.

Une histoire qui aura mis 4,5 milliards d'années à être racontée et mettant le point final au Magnum Opus de la carrière de The Ocean. Commencée aux origines de la Terre pour s'arrêter à nos croyances religieuses et scientifiques, telle la petite Humanité que nous sommes, perdu dans un monde qui nous dépasse que l'on essaie de comprendre. Si rares sont les groupes à avoir réussi de bout en bout leurs aventures, The Ocean en fait clairement partie.

Image utilisée pour la couverture : Jurassic Landscape - Zdeněk Burian

ProfondeurIndice sur la densité de contenu de l'album 1/5 : album au propos plutôt dépouillé voire superficiel, on en fait rapidement le tour, on l'assimile très vite 5/5 : album au contenu très riche, plusieurs écoutes seront indispensables pour espérer en capter l'essence
ImmersionIndice de l'immersion dans le voyage musical. 1/5 : l'album s'écoute les pieds bien au sol 5/5 : l'album vous emmène dans un tunnel de couleur et de sensations
MélancolieL'album inspire plus ou moins la mélancolie, les sentiments maussades et embaumés d'un vague à l’âme. 1/5 : Vous ressentez une légère pique de tristesse. 5/5 : Vous êtes plongé dans les tréfonds du spleen
EfficacitéLa capacité de l'album à capter et maintenir l'attention de l'auditeur. 1/5 : Vous écoutez l'album d'une oreille 5/5 : L'album vous jette des étoiles dans les yeux et retient toute votre attention
Consigne du maître nageur :
Bouteille de plongée
Bouteilles de plongée

phanerozoic-ii.jpg
The Ocean Collective
"Phanerozoic II : Mesozoic | Cenozoic"