BENIGHTED : « Quand on rentre sur scène, on se dit qu’on doit être mort ensuite ! »

Entretien au milieu des insectes avec Julien Truchan

Après avoir sorti un album en pleine période de pandémie, BENIGHTED est revenu pour en découdre avec EKBOM, quatre ans après Obscene Repressed. L'occasion pour notre navire d'amarrer au port de Julien Truchan, chanteur de la formation, et de lui poser quelques questions sur le concept du disque, mais aussi sur sa vie et son rapport à la scène.

NDLR : Ce que vous allez lire est une retranscription d'une interview audio, certaines phrases peuvent avoir été modifiées à la retranscription pour le confort de votre lecture, mais aucun propos n'a été déformé.

Soundbather : Eh bien bonjour à toi Julien et merci d’avoir accepté cette invitation ! Tout d’abord, comment vas-tu ?

Julien : Ça va plutôt pas mal, écoute ! En plein dans la promo de l’album en ce moment. Entre les concerts et mon métier d’infirmier à l’hôpital, je serai bien content au moment où j’aurai une petite heure pour moi !

SB : Lors de l’annonce de la sortie de EKBOM, j’ai pu voir sur vos réseaux sociaux que vous considérez ce nouvel album comme une étape importante dans la carrière du groupe. Est-ce que tu pourrais m’expliquer pourquoi ?

Julien : Il faut déjà se dire une chose : EKBOM c’est le dixième album de BENIGHTED. On a maintenant 26 ans de carrière, ça montre déjà que tu es un groupe avec une certaine longévité, qui confirme sa musicalité, mais qui vient aussi annoncer ce qui va venir après. Et pour moi ça marque aussi une étape importante dans le sens où on a un line-up qui est stable depuis des années maintenant (NDLR : aucun changement dans les membres depuis l'arrivée de Kevin Paradis derrière les fûts en 2017). On a une cohésion qui marche super bien, on se connait vachement et on sait comment fonctionnent les uns et les autres. On sait exactement comment l’autre pense, ce qui rend la composition d’un album facile. Avec ce disque, on a vraiment pu prendre le temps de peaufiner tous les détails, que ça soit niveau musique, concept, les images qui vont venir avec… C’est un album très abouti sur tous les plans, et j’en suis très fier !

Benighted groupe 3 De gauche à droite : Pierre Arnoux (basse), Emmanuel Dalle (guitare), Kevin Paradis (batterie), Julien Truchan (chant) (photo par Anthony Dubois)

SB : S'il y’a bien une chose que j’aime dans la musique de BENIGHTED, c’est cette envie de mélanger cette musique particulièrement violente et directe avec des concepts forts au sein de vos albums, notamment depuis Asylum Cave. Dans EKBOM, rien que le nom de l’album désigne une certaine pathologie psychiatrique dont les personnes qui en sont atteintes sont persuadées que leur peau est infestée d’insectes ou de parasites. Pourquoi avoir choisi cette pathologie précise et comment l'avez-vous incorporée dans votre musique ?

Julien : La musique de BENIGHTED, elle est à la fois violente, très épileptique, peut passer par des passages très calmes avant de revenir de façon très directe. Un peu comme une crise d’angoisse qui commence à t’étreindre et qui d’un seul coup CLAC, ça te prend sans prévenir comme des hallucinations… Le concept de la psychiatrie déjà, en soi, s’accorde parfaitement avec la musique de BENIGHTED. Pour EKBOM, j’ai fait ce choix pour plusieurs raisons. Tout d’abord, j’avais envie de mettre en scène une femme dans le concept de l’album. En ce qui concerne les insectes, j’ai des patients qui ont ce type d’hallucinations, et le travail pour le scénario d’EKBOM a été de travailler sur des traumatismes qui pouvaient expliquer la rationalisation délirante au travers des insectes sous ta peau qui te bouffent de l’intérieur et qui veulent te tuer.

L’histoire du nouvel album, c’est celle d’une jeune femme qui a passé toute son adolescence à s’occuper de sa maman qui était en train de mourir du cancer, et qui s’est donc construite avec la conviction réflexible que ce qui va nous tuer est à l’intérieur de nous. Et quand elle arrive à l’âge fatidique de 18 ans où elle décompense (rupture de l'équilibre psychologique) sur une schizophrénie, l’un des symptômes principaux de cette pathologie, ce sont ces hallucinations visuelles et synesthésiques où elle a la sensation et la vision de ces insectes qui courent sous sa peau, et elle s’ouvre pour essayer de les attraper et de les faire sortir. Le syndrome d’Ekbom ne s’associe pas forcément avec la schizophrénie, c’est simplement un processus hallucinatoire. Mais là, en l’occurrence, j’ai voulu appeler l’album comme ça car c’est un nom que personne ne connaît ! Je pense que sur Terre, on est vraiment très peu de gens à connaître ce mot (rires) ! Donc c’est très énigmatique ! J’ai plein de personnes qui m’ont demandé « mais c’est quoi Ekbom ? Un démon ?! ». Alors que non, c’est juste un syndrome dont le nom vient de Suède. Je pense que ça doit tout simplement être le nom d’un savant ou découvreur suédois (NDLR : découvert en premier par le dermatologue français George Thiebierge en 1894, mais repris et concrétisé par le neurologue suédois Karl Axel Ekbom en 1938). Donc tu vois, tout ça, c’est pour que tout soit cohérent ! Le trauma que vit la jeune fille se rationalise de façon délirante après dans sa symptomatologie.

SB : OK, je vois !

Julien : J’écris toujours les histoires pour que ça soit en accord avec la réalité des symptômes parce que je déteste tous les raccourcis et les clichés que je peux voir dans les films d’horreur qui parlent de santé mentale, ou même la façon dont certains groupes pensent en parler qui n’a rien à voir avec ce que c’est réellement. J’essaye donc de faire vraiment attention à tout d’abord souligner les symptômes dans ce qu’ils ont de réel, mais aussi d’expliquer que les personnes dont je parle dans mes albums se font du mal à elles-mêmes et pas aux autres, contrairement aux clichés que l’on peut avoir dans l’inconscient collectif et qui sont entretenus par les médias : « schizophrène = potentiel tueur en série ou cinquante personnalités en une seule personne qui ont toutes un prénom… ». Enfin bref, toutes ces merdes n’ont aucun sens et font une mauvaise publicité à des gens qui sont déjà en souffrance. Je m’attache à souligner que les personnes atteintes par ce type de maladie sont avant tout dangereuses pour elles-mêmes, avant d’être dangereuses pour les autres.

SB : En plus d’être chanteur dans BENIGHTED, tu es aussi infirmier en secteur de psychiatrie. Comment est-ce que tu arrives à concilier ces deux métiers en même temps, et quel est l’impact du métier d’infirmier sur ta musique, hormis les paroles et les concepts ?

Julien : Alors déjà comment est-ce que j’arrive à concilier les deux ? C’est très facile : je ne me repose JAMAIS (rires) ! C’est le seul compromis que tu as à faire, toutes tes vacances passent dans les tournées, et ensuite tu retournes bosser quand tu as terminé. J’ai de la chance d’avoir un organisme qui supporte bien ça pour le moment, donc je continue vu que la flamme de la passion est toujours là ! Bon après, j’ai une super balance entre mon job et BENIGHTED, dans le sens où j’incorpore énormément de la psychiatrie dans mes textes, mais aussi dans mes attitudes sur scène : dans la façon dont je relâche mes défenses et laisse ressortir cette part animale de moi on va dire. C’est aussi pour ça que j’adore être pieds nus, parce que je me sens bestial, et tous les cris que je peux faire viennent vraiment des tripes ! Il y a vraiment une rage primale qui s’empare de moi et qui fait ressortir toutes les énergies négatives que je peux avoir dans mon travail par exemple. C’est vraiment un exercice on ne peut plus cathartique. Et de l’autre côté, dans mon métier, j’utilise beaucoup la musique pour aider mes patients. J’ai une médiation qui est centrée autour de la musique qui a lieu tous les mercredis pour laquelle j'ai installé une salle de répétition à mon boulot, avec l’autorisation de l’hôpital bien sûr. C’est une salle insonorisée avec notamment un kit de batterie, parce que j’en joue… mais mal ! (Rires communs)

Le but de la manœuvre n’est pas d’être bon, mais plutôt de faire quelque chose ensemble avec les patients pour qu’ils travaillent sur leurs symptômes, sans qu’ils ne s’en rendent compte. On répète toutes les semaines et les patients jouent d’un instrument ou chantent. Après on écrit les paroles, puis on va enregistrer nos albums à nous, qui restent intra-muros bien entendu, mais que les patients peuvent écouter sur le poste de l’hôpital où je travaille et aussi rentrer chez eux en expliquant « regarde, je t’ai amené un CD ! Là tu vois, c’est moi qui fait telle voix ou tel instrument ! ». C’est donc hyper narcissisant et valorisant pour eux, et ça les fait bosser sur tout ce que la psychose abime : les fonctions cognitives, l’imaginaire, le rapport à l’autre, être dans un groupe, considérer et respecter la place de l’autre… Et avec mes collègues, on fait tout pour qu’ils aient la vie la meilleure possible.

SB : Si je comprends bien, ça te permet donc d’à la fois lier tes deux passions ensembles, mais aussi de faire du bien aux gens, c’est quelque chose de fort !

Julien : Ha oui oui oui ! Et tout se recoupe ! Il n’y a rien qui ne me touche plus qu’un fan qui vient me voir en concert et qui m’explique : « tu vois Julien, moi je suis malade, je prends tel traitement, et ça fait du bien d’avoir des groupes tels que les vôtres où on vient, on se défoule complètement et on se sent compris au travers de ce que BENIGHTED dégage, ça m’a aidé à passer des caps… ». Tu vois, quand tu as des gens qui viennent me parler de sujets si tabous, ça me touche en plein cœur ! Ça veut vraiment dire que j’ai réussi, au-delà de la musique, à créer quelque chose de positif.

SB : Je vois complètement l’idée ! Pour en revenir à l’album, dans la tracklist, on retrouve Morgue, Le Vice des Entrailles ou encore le titre éponyme qui contiennent comme souvent avec BENIGHTED des paroles en français. D’où vient cette envie d’écrire et de chanter des paroles en français souvent dans ta carrière ?

Julien : Il y a effectivement toujours deux ou trois titres écrits en français par album, et il y a plusieurs raisons à ça. La première, c’est que j’adore écrire dans ma langue maternelle. Dans le sens où contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est plus difficile d’écrire en français. Parce qu'en anglais, tu peux écrire n’importe quoi, ça sonne ! Alors que si tu fais la traduction littérale de certaines chansons qu’on a en anglais, un chanteur viendrait chanter ça en français, il se prendrait des pierres (rire) ! Je t’assure que si tu t’amuses à traduire toutes les chansons les plus populaires, ça sonnerait comme une bêtise incommensurable, parce qu’en France, on est très durs avec notre propre langue. C’est donc un exercice très difficile parce qu’il faut vraiment utiliser des figures de style, choisir un vocabulaire qui a de l’impact, trouver des tournures de phrases accrocheuses, et c’est bien plus compliqué qu’en anglais. Mais il y a aussi le fait que l’on a beaucoup de fans dans notre pays, et je trouve ça bien que les personnes qui ne parlent pas d’autres langues puissent comprendre les textes et de pouvoir les gueuler quand je suis sur scène !

SB : Pour l’avoir vécu en live, je reconnais que cette sensation est géniale ! Il n’y a rien de meilleur que de pouvoir hurler des paroles dans sa langue maternelle, et je t’en remercie pour ça.

Julien : Ho mais de rien, moi-même j’adore ça ! Tu vois, moi je parle bien anglais mais j’aime les chansons. On parle beaucoup de morceaux dans le Metal, mais personnellement j’essaye d’écrire des chansons à part entière avec des refrains que l’on peut chanter ensemble, des couplets qui restent en tête, et qu’en plus on arrive à les chanter ensemble parce qu’on comprend la langue ou que c’est tout simplement la nôtre, moi je trouve ça super.

SB : À l’écoute, j’ai été assez heureux et surpris de retrouver pas mal de parties typées Black Metal, notamment sur Morgue ou Nothing Left To Fear. Est-ce que ça serait dû à l’arrivée de l’album de ton projet NÉFASTES sorti en 2021, ou bien est-ce que ça viendrait d’autres facteurs, comme par exemple des idées amenées par les autres membres du groupe ?

Julien : Et bien ça, ça dépend complètement de Manu, le guitariste ! D’autant plus qu'avec le projet NÉFASTES, j’essaye de rester très loin de la composition de la musique en terme de style. C’est vraiment Manu qui compose tout, c’est-à-dire que moi j’arrive juste une fois qu’il a tout fait : enregistrement de la guitare, de la basse et la programmation de la batterie. C’est vraiment sa façon de bosser les titres chez lui. Ensuite il nous les envoie à tous, et on écoute attentivement. Dans mon cas par exemple, je lui demande certaines modifications de structure selon mes idées de chant : ce qui semblerait être un refrain, comment on l’amène... les autres apportent aussi leurs idées et ainsi de suite, et ce jusqu’à ce qu’on ait la structure la plus efficace. Dans mon cas, j’essaye de ne pas trop intervenir là-dedans parce que Manu est un super compositeur, et il n’a pas besoin de moi dans ce domaine. J’arrive juste avec mes idées de breaks et d’arrangements, qui sont souvent anti-musicales ! Lui, c’est un vrai musicien, il a un cursus de malade. Moi je suis incapable de jouer de la guitare, et je ne comprends même pas ce que c’est que des notes, je sais juste faire du bruit dans un micro (rires communs) ! Quand je lui dis les idées que j’ai avec ma culture à moi, il me dit « mais voyons Julien, ça ne se fait pas ça, en musique ! Mais… ça marche, donc on va garder ! ». Par contre, tout cela est complètement indépendant de NÉFASTES, qui est un projet qu’on a fait pendant le Covid avec Gab et Liem, mes ex-compagnons de BENIGHTED, dans lequel on s’est éclaté à faire ce disque tous les trois. Mais j’ai vraiment veillé à ce qu’on ne sente pas trop de touches “Benightidiennes” dans NÉFASTES, en modifiant un peu mes voix hurlées et mon chant en général.

SB : J’allais le dire justement ! Dans Scumanity, qui est un album que j’ai beaucoup apprécié, il est vrai que ton chant est totalement différent. Et c’est super cool de t’entendre dans un registre différent.

Julien : Ha mais moi, je me suis éclaté à faire ça ! C’était une super expérience de faire quelque chose de différent comme ça. Ce que j’ai d’autant plus adoré, c’est que dit toi qu'à l’époque, il y’avait Jessica qui bossait chez Season Of Mist et je lui ai envoyé Scumanity en lui disant que c’était un album sur lequel je chante. Et elle a écouté et cru comprendre que j’étais simplement en guest dessus et elle m’a demandé « mais… tu chantes sur quelles chansons ? »… mais toutes ! (Rires) Et ça m’a fait super plaisir ! Même elle qui me connait super bien, elle était tellement focalisée sur le fait de retrouver ma voix qu’elle n’a pas fait attention que c’était moi tout du long !

SB : Pour changer un peu de sujet, là où certains groupes, qui ont une longévité similaire à celle de BENIGHTED, vont adoucir leurs compositions au fur et à mesure, j’ai eu ce sentiment en écoutant EKBOM qu’il était encore plus rentre-dedans que les précédents, qui n’étaient déjà pas très calmes. On y retrouve des titres encore plus bruts et sombres qu’à l’accoutumée. Qu’est-ce qui vous fait continuer dans cette direction dans la recherche de la brutalité dans votre musique ?

Julien : Il est vrai que l’on a une avancée musicale assez contradictoire. Dans le sens où la musique a une évolution de plus en plus extrême, mais les titres sont de plus en plus accrocheurs. C’est-à-dire que c’est paradoxalement le fait de pousser nos limites en évoluant en tant que musiciens ou chanteur pour la qualité de la composition qui nous apporte une expérience qui fait que l’on arrive à créer des choses accrocheuses dans la brutalité et la rapidité, sans pour autant tomber dans le bruitisme qui ferait perdre de l’intérêt au morceau. Je me permets d’insister, mais ce sont vraiment des chansons qu’on écrit avec BENIGHTED. Après, peut-être qu’un jour on s’adoucira quand on sera trop vieux, je ne sais pas (rires). Pour l’instant on a cette envie de faire un album encore plus brutal et ça arrive juste comme ça !

SB : Vous suivez juste vos humeurs et vos envies si je comprends bien ?

Julien : Comme c’est Manu qui compose absolument tout et qu'il aime le challenge musical, tout vient de lui. Quand il nous envoie les morceaux, je me dis qu’il va falloir que j’assure, Kevin (le batteur) lui dit « alors là tu vois c’est pas humain, donc je ne peux pas le faire ! », donc il lui demande des parties de batterie plus jouables tout en lui autorisant certaines choses, etc…

SB : À chaque album de BENIGHTED, on a toujours la surprise de découvrir des guests vocaux de haute volée. Dans EKBOM, on retrouve notamment Oliver de Archspire et la participation de Xavier du groupe de Grindcore BLOCKHEADS. Comment est-ce que vous choisissez les personnes que vous voudriez inviter sur vos disques ?

Julien : Il y’a toujours deux catégories de gens. La première, ce sont des personnes qui ont représenté quelque chose pour nous en termes d’influence dans notre culture musicale, que ça soit la mienne ou celle des autres membres, ou bien tout simplement des potes de tournée avec qui on se dit qu’il faudrait matérialiser cette amitié nouée sur la route en studio. Là en l’occurrence, c’est ce qu’il s’est passé pour les deux, parce qu'avec Archspire, on se connaissait de contact. Puis l’an dernier, on a fait une tournée d'un mois ensemble en Europe et au bout de deux ou trois jours, on avait l’impression de se connaître depuis toujours ! Ce sont vraiment des gens extraordinaires sur le plan humain, et en plus sur scène ce sont des bouchers, ils sont monstrueux. Et après une bringue dans le Tour-bus où on était un peu bourrés, je balance « Oli ! Il faut vraiment que tu chantes sur le nouveau BENIGHTED, ça serait incroyable ! », et il m’a dit « mais bien sûr, ça serait un honneur de pouvoir venir ». Par contre j’ai de suite demandé à Manu « heeeeu, on a un morceau où il peut chanter ? », et il m’a répondu « bah je vois pas lequel pour l’instant, mais on va en composer un autre ! ». Puis dans un deuxième temps, il est venu me voir avec une idée de génie « tu sais quoi ? Vu que Archspire joue à 400 BPM, on va faire un titre à… 402 BPM ! » (fou rire général entre Julien et moi). C’est né comme ça, on s’est dit qu’on allait juste les troller, vu que c’est l’un des groupes qui jouent le plus vite !

Xavier de BLOCKHEADS c’est encore différent. Ça fait maintenant 20 ans qu’on tourne avec eux, on s’entend super bien et souvent ils m’invitent pour chanter sur un morceau, donc on s’est dit que là c’est le moment de rendre la pareille, d’autant plus qu’on a un morceau hyper brutal et typé Grindcore, et en plus nos voix se répondent bien, donc c’était parfait pour Xavier. Il a de suite dit oui ! On a scellé notre fraternité dans ce titre.

SB : Ça amène vraiment quelque chose de symbolique dans ces feats, j’aime beaucoup la démarche ! Pour en revenir à Obscene Repressed, sur l’édition deluxe de l’album, on pouvait retrouver une reprise du morceau Get This de Slipknot. En octobre 2020, on a aussi pu voir arriver un morceau inédit, Stab The Weakest, qui reprenait dans sa forme le thème du classique de l’horreur Halloween, réalisé par John Carpenter. Est-ce que ce genre de démarche est amené à revenir dans un futur plus ou moins proche ?

Julien : Ho oui oui oui, très clairement ! On adore ce genre de petit challenge comme ça, parce que les reprises, c’est toujours casse-gueule. Moi par exemple, tout ce qui est “Tribute Band”, j’aime pas du tout, même si je comprends que certains fassent ça et que ça marche. Je n’en suis absolument pas client. Par contre, je trouve ça trop cool, de temps en temps, de s’essayer à l’exercice et de reprendre un morceau qui transforme un peu l’original, pour qu’au final on se dise « ha mais attends… je le connais ce morceau, mais c’est pas du tout joué comme ça d’habitude ! ». Dans le cas de Slipknot, c’est un groupe dont j’ai adoré les premiers albums, et on a fait Get This parce que justement, c’est pas le morceau le plus connu de leur carrière ! La facilité aurait été de prendre un hit, mais on a voulu prendre celui-là tout d’abord parce qu’il est super brutal et que c’est une sorte de b-side du premier album. Donc voilà, on aime beaucoup ce genre de petit challenge, tu vois. Par exemple, quand on a fait la reprise de Rammstein, on s’est dit « ça y est, le groupe est mort ! ». Parce que c’est tellement commercial que des mecs allaient se dire « mais comment ça ?! Ils viennent de l’underground et ils reprennent du Rammstein, qu’est-ce que c’est que ces conneries, c’est du foutage de gueule ! ». NON ! Nous ce qu’on veut c’est massacrer les morceaux !! On veut que nos auditeurs se disent « mais qu’est-ce qu’ils en ont fait ?! Ils sont fous ! » (rires).

SB : J’ai effectivement eu cette impression en entendant pour la première fois votre version de Get This ! Déjà j’ai beaucoup rigolé en entendant l’ingé son crier « give me a gruik Julien ! » en introduction, puis ensuite vous avez accéléré le morceau, qui était déjà bien patate à la base. Ça fait quelque chose quand on découvre !

Julien : C’est trop cool, alors ! Je crois que dans la version originale de Get This, on entend l’ingé son qui dit « give me scream Corey », ou quelque chose du genre, puis on s’est dit qu’on allait faire la parodie jusqu’au bout quoi ! Donc là c’est Colin qui est dans le studio avec nous et qui me dit « give me a gruik Julien ! », puis ensuite tu l’as écouté donc… GRUUUUIIIIIIK, et c’est parti !

SB : Ça s’entend à l’écoute que vous vous éclatez à faire ça !

Julien : C’est fait pour ça, on ne se prend pas au sérieux. Et puis c’est de la musique faite par des fans et pour des fans, donc bon.

SB : J’ai cru comprendre que tu étais un grand fan de films d’horreur. À quel point cette passion va influencer ta façon d’écrire et de concevoir de la musique ? Parce que justement, en matant le clip de Scars, on retrouve pas mal d’éléments esthétiques qui m’ont fait penser à Terrifier par exemple.

Julien : Terrifier tu vois, par exemple, c’est typiquement cette série de films qui reprend les éléments des films d’horreurs des années 80 comme Maniac avec des couleurs dégueulasses, dans des tons roses ou bleus, style vieux clubs de cul. Et moi je kiffe les ambiances de ces films-là ! C’est hyper cohérent avec le concept. Tu vois, par exemple, avec le clip qu’on a fait pour Scars, les couleurs vont bien avec les parties synthés ! Cette fois on a voulu vraiment les intégrer dans la composition. Alors attention, on ne va pas devenir un groupe symphonique, hein (rires) ! Mais on voulait que ça fasse des parties « films d’horreurs » intéressantes, de façon à ce que quand tu connais le concept, et qu’on te dit « tu vois, l’album c’est EKBOM, ça parle de ça, mais aussi de ça, etc… », tu rentres dans le CD et tu as un film dans tes oreilles. C’est de cette façon que je l’ai écrit et que je pense la musique en tout cas. Le clip va s’utiliser de la même manière qu’une bande-annonce au cinéma, c’est-à-dire que ça va t’introduire à l’histoire et au concept, puis tu rentres dans le disque de la même manière que tu rentrerais dans un film. Et par les ambiances qu’il y a, tu repères certains moments clés de l’histoire, tu as des images qui te viennent. Tu te rappelles de la femme sur la pochette et dans le clip, tu te rappelles de son histoire… C’est vraiment dans cette démarche qu’on écrit un album de BENIGHTED.

SB : C’est vrai que ce côté cinématographique il ressort beaucoup dans votre musique, et encore plus sur cet album-là.

Julien : Moi, ça me fait tripper en tout cas d’avoir un ensemble aussi cohérent que celui-là. Avant même de commencer à me pencher sur l’album, je savais que je voulais écrire sur une fille qui allait avoir tel ou tel trouble. J’ai donc demandé à une super copine qui s’appelle Héléna si elle était d’accord pour apparaitre dans le clip et devenir, entre guillemets, la nouvelle “égérie” de BENIGHTED, dans le sens où je me servirais de son visage pour la vidéo et la pochette, de la même manière que pour un casting finalement. Là-dessus elle m’a bien évidemment dit oui immédiatement, et c’est comme ça que ça s’est fait.

Ekbom alt Pochette alternative vinyle de EKBOM par Robert Borbas, alias Grindesign Tatoo

SB : Tiens justement, tu parlais de la pochette… EKBOM signe, il me semble, la deuxième participation de Robert Borbas, alias Grindesign Tatoo, à la pochette, quatre ans après Obscene Repressed. D’où vous est venu l’envie de travailler avec lui ? Et comment avez-vous pris contact ?

Julien : Il y’a quelques années, c’était en 2017 il me semble, on lui avait commandé un design de t-shirt. Et c’est au fur et à mesure que ça s’est construit. Au début c’était poli, on parlait juste du t-shirt, il nous connaissait pas énormément, à la base. Et quand je suis revenu vers lui pour Obscene Repressed, il nous a dit « mais les gars j’adore ce que vous faites, je suis vraiment trop content de faire cette pochette ! ». Bon alors après il faut savoir qu'à la base, il y a un sketch pour les pochettes qui vient de moi (rire gêné) ! C’est-à-dire que je dessine, pas bien il faut le reconnaître, mais assez pour pouvoir montrer ce que je veux sur la pochette. Il a immédiatement vu là où il voulait aller, et quand j’ai reçu je me suis dit « WOW elle est magnifique ! ». J’ai immédiatement adoré tous les détails… J’apprécie énormément quand tu as ce genre de pochette où tu peux l’analyser autant que tu veux, tu auras toujours un petit détail qui t’accroche la rétine. J’aime cette idée de l’album en tant qu’objet, et sur ce point, Robert a fait un travail fantastique. Donc pour EKBOM autant te dire que je ne voulais pas chercher ailleurs ! Je suis un fan ultime de son travail (Julien me montre ses bras). Regarde, j’ai les deux mains tatouées par lui ! Puis maintenant, lui et moi on se connait, je l’ai rencontré plusieurs fois et on est de supers copains ! Tu vois, c’est une personne qui est aussi talentueuse qu’elle est humble. C’est typiquement le genre de personne que j’adore… Tu verrais, il est d’une simplicité et d’une humilité, je t’en parle même pas. C’est un mec extraordinaire. D’ailleurs, faudrait que je poste mon vieux sketch pourri, je l’ai encore ! Pour montrer l’avant/après, ça serait très drôle ça !

SB : J’adorerai voir ça ! C’est drôle ce que tu dis sur les détails des pochettes, parce que j’ai justement le vinyle de Obscene Repressed dans ma collection et c’est là que je me rends compte du taff incroyable qu’il a eu pour pouvoir aboutir à un tel dessin.

Julien : Ce qui est encore plus génial, c’est qu’avoir une telle pochette ça te permet de complètement rentrer dans l’album ! Le côté audio prend d’un seul coup une couleur et une dimension qui fait que tu n’écoutes pas la musique de la même façon je trouve.

EKBOM Croquis Croquis de l'idée de Julien pour ce qui deviendra la pochette de EKBOM

SB : J’en parlais tout à l’heure, mais j’ai eu la chance de vous voir sur scène lors du Brutal Assault en 2022. En plus d’avoir passé un excellent concert, j’ai été vraiment marqué par cette ambiance que vous arrivez à créer tous ensemble. Qu’est-ce qui vous plaît autant dans le fait de défendre vos titres sur scène ?

Julien : Et bien je pense que c’est le fait qu’on est des passionnés, tout simplement. On a tous cette énergie en nous, qui soit positive ou négative, et on a vraiment besoin de la sortir à un moment ou à un autre, donc autant en faire un truc constructif et chouette que tu partages avec les gens ! C’est vrai que tous les quatre, à chaque fois avant de rentrer sur scène, on est ultra galvanisés par le fait d’être là. Et c’est une chance, parce que tu n’es pas à l’abri qu’il y ait un ou deux membres qui viennent faire le job un minimum et qui repartent avec le sentiment du devoir accompli ! Mais c’est vrai que nous avec BENIGHTED c’est jamais comme ça. Quand on rentre sur scène, on se dit qu’on doit être mort ensuite ! Je me dis que quand je sors, je dois être cuit ! Si je sors du concert en me disant que je pourrais faire un deuxième set derrière, c’est que ce n’est pas normal et que je n’ai pas bien fait mon job !

SB : Je comprends mieux alors ! Parce que justement je me rappelle très bien avoir été aux barrières et m’être pris une immense claque tant c’était puissant et fou. Comme tu le dis très bien, sur la scène tu te déchaînes, tu hurles avec le public, il y’a vraiment un instant de communion qui se crée.

Julien : Moi j’adore le partage ! C’est aussi l’ambiance qu’on veut défendre à nos concerts, c’est cette ambiance de partage. Comme je le dis souvent au public, nous ce qu’on veut c’est vous donner le meilleur show qu’on peut vous offrir, mais nous ce qu’on attend de vous, c’est que vous nous cassiez la gueule dans le pit, on veut voir un truc de malade et qu’on parte en se disant « ho les salauds, ils nous ont eus ! ». (Rires)

SB : Comme ça chacun ramasse sa claque et ses dents !

Julien : C’est exactement ça ! Et pour moi c’est hyper important, ce sont des expériences extraordinaires, ce genre de moments.

SB : Pour terminer cette interview, je serais curieux de savoir quelles sont tes écoutes du moment. Quels artistes ou groupes as-tu découvert en ce début 2024 ? Qu’ils soient affiliés à la sphère Metal ou non.

Julien : Mmmmh, début 2024, qu’est-ce que j’ai pu découvrir que je ne connaissais pas… Alors là, tu me poses une colle ! (Julien réfléchit un petit moment) Parce que tu vois, ce que j’écoute beaucoup encore une fois ces derniers temps, et qui pourtant est très loin du Metal extrême, eh bien c’est Leprous ! J’étais encore hier allé les voir en concert (NDLR : à la date du 5 mars 2024) parce que je surkiffe ce groupe, et pourtant tu sais très bien que j’en suis très loin vocalement parlant (rires) ! Mais j’adore Leprous, c’est vraiment un groupe que j’écoute tous les jours et je n’arrive pas à m’en lasser.

Pour en revenir aux sorties récentes, il y’a Vitriol avec leur dernier album Suffer & Become que j’ai adoré ! C’est super bourrin, c’est pile ce que j’aime. C’est un groupe récent, ils ont dû sortir trois albums ou un truc du genre, mais par contre c’est très très bon. Je te dirais bien ça en découverte, parce que Leprous ça doit bien faire 5 ans que j’écoute ça, donc bon !

SB : C’est vrai que maintenant que tu le dis, je me rappelle très bien t’avoir vu dire sur Instagram avant le Brutal Assault que le groupe que tu avais le plus envie de voir là-bas, c’était eux ! Je t’avoue que ça m’avait énormément surpris, mais dans le bon sens du terme ! Je suis curieux de savoir ce qui te plait autant dans leur musique.

Julien : ALORS. Une bonne chose à savoir avant tout : je n’aime pas le Progressif et je déteste les voix claires lyriques, et en général c’est le genre de groupe où en écoutant un demi-morceau, je me dirais que c’est pas pour moi et j’arrêterai. Je ne saurais pas te dire pourquoi, mais la voix de Einar Solberg elle doit appuyer sur les bons boutons chez moi et me fait ressentir énormément de choses si tu veux. Tu vois, la musique comme celle de Der Weg Einer Freiheit, un groupe de Black Metal allemand, me déclenche vraiment des décharges émotionnelles puissantes. Je peux très bien avoir les larmes qui montent chez moi en écoutant un de leurs albums tant ça fait du bien et me fait ressentir des choses indescriptibles. Eh bien Leprous ça me fait le même effet, à ma grande surprise ! Parce que ce n’est absolument pas ce que j’ai l’habitude d’écouter. C’est Pierre, le bassiste de BENIGHTED, qui m’a fait écouter car je lui disais que je serais curieux d’essayer parce que je ne connaissais pas, et il m’a de suite mis en garde en me disant « HOULA je te connais, ça ne va pas te plaire ! ». Puis il a mis l’album The Congregation en marche et WAW, j’ai pris une claque monumentale et je lui ai dit « alors tu vas croire que je me fous de ta gueule mais… mais j’adore ! ». Donc voilà, c’est un OVNI parmi tout ce que je peux écouter d’habitude.

SB : The Congregation est resté ton album préféré du groupe avec le temps ?

Julien : Carrément. Un de mes albums de cœur ! J’aime énormément Aphelion, Pitfalls est excellent aussi… Je connais beaucoup moins bien les débuts de leur carrière. J’ai écouté Coal qui est très cool, mais voilà je suis plutôt fan du Leprous nouvelle génération, parce que je les ai découvert avec The Congregation. Et on joue avec eux en Tunisie au mois de mai, et on va bien se marrer !

SB : (rires) Ha mais je dis oui ! J’adore le duo, je serai curieux de voir ça ! En tout cas, je tenais encore une fois à te remercier d’avoir accepté cette interview, c’était un plaisir de discuter avec toi ! Est-ce que tu aurais un mot à faire passer pour conclure ?

Julien : J’espère tout d’abord que EKBOM va plaire aux anciens comme aux nouveaux fans ! Et bien sûr, merci à tous ceux qui nous soutiennent depuis toutes ces années. Ça fait maintenant 26 ans qu’on a fondé BENIGHTED, et grâce à ce soutien constant des fans, on n'a jamais lâché. Là où on s’efforce de ne montrer aucune faiblesse et de donner le meilleur de nous-mêmes d’album en album, nos fans eux aussi sont là pour nous, alors un immense merci pour tout ça !

EKBOM est disponible à l’écoute sur toutes vos plateformes de streaming habituelle, ainsi qu’en physique sur le site de Season Of Mist.

Julien Truchan